Donc au final, parmi dans toutes les instances impliquées, y'a 3-4 chefs héréditaires (donc qui n'ont jamais été élus par qui que ce soit) qui refusent le projet
On dirait qu'il y a des gens qui ne réalisent pas que ce projet fût ficelé de concert avec l'ensemble des représentants des peuples autochtones dont le territoire est traversé par ce pipeline, avec leur appui et compensation financière, en sus d'emplois réservés.
Je ne suis pas une experte, mais je pense que c'est principalement là où notre compréhension du problème fait défaut. Ou ce en quoi il est incompréhensible pour les gens à l'extérieur des communautés autochtones (je m'inclus donc là-dedans).
Le projet fût ficelé de concert avec les conseils de bandes, pas avec "l'ensemble des représentants des peuples autochtones". Les conseils de bandes sont élus, vrai, mais leur légitimité est souvent questionnée, notamment parce qu'on leur reproche d'être facilement achetables ou juste "à la solde de blancs".
La structure de gouvernance du conseil de bande découle de la loi sur les indiens, c'est une structure imposée par le fédéral pour la gouvernance des réserves. Normalement, les conseils de bandes devraient
uniquement gérer les affaires internes au sein de la réserve, et même là, leur autorité n'est pas toujours reconnue pour toutes sortes de raison. D'ailleurs, il ne s'agit pas de la seule structure de gouvernance qui a des pouvoirs au sein des communautés autochtones.
Les chefs héréditaires sont les descendants des chefs historiques des tribus (leur nom le dit un peu). Ils ne sont pas "autoproclamés" comme certains voudraient le croire, ils sont en général reconnus par les communautés, et ils ont une fonction qui est le maintien du lien avec la tradition autochtone. Ce sont eux qui veillent à la perpétuation des rituels, de la langue et à la préservation d'une forme ancestrale de gouvernance. Comme les conseils de bandes gèrent ce qui se passe dans les réserves, les chefs héréditaires ont aussi pour rôle de gérer les territoires autochtones. Ils sont présents dans les revendications territoriales et les négociations des ententes d'exploitation des ressources, parce que les territoires ancestraux, c'est leur business, pas celle des conseils de bandes.
Là, le conflit vient du fait que le gouvernement s'est adressé aux conseils de bandes pour entériner le passage du gazoduc, alors que c'est évident que le gazoduc ne passe pas dans les réserves, mais dans le territoire des communautés autochtone. C'est donc d'abord les chefs héréditaires qui auraient dû être convoqués. Évidemment, les conseils de bandes, si tu leur offres des redevances et des emplois, ils vont accepter les offres gouvernementales: la plupart des réserves sont gravement défavorisées. Mais en acceptant les offres pour les bonnes raisons (revitaliser les communautés), les conseils de bandes affaiblissent leur légitimité auprès des communautés parce que ça renforce l'idée qu'ils sont facilement achetables par les blancs.
Les chefs héréditaires se retrouvent donc dans une position où ils peuvent se plaindre que le gouvernement est hypocrite parce qu'il ne s'adresse pas à la bonne instance quand vient le temps de négocier, et où ils peuvent aussi montrer du doigt les conseils de bandes pour avoir été "achetés". Ce qui renforce leur légitimité à eux, en tout cas, au moins chez les traditionalistes.
Et ce qui apparaît comme une contradiction (oui, les autochtones conduisent des pick ups parce que t'sais, chemin de terre pis tout, pis oui ils aiment brûler du gaz en faisant du quatre roue et du ski doo, donc non, ils ne font pas les blocages pour des raisons environnementales) est juste une tension déjà existante qui est à la source de bien des conflits: les autochtones se sont adaptés au mode de vie qu'on leur a imposé en créant les réserve, mais ça ne veut pas dire qu'ils veulent renier leur patrimoine. Et quand on bafoue ce patrimoine (ici, en ne respectant pas l'autorité des chefs héréditaires sur la gestion du territoire), ils ripostent pour démontrer que c'est important pour eux. Ça donne les blocus ferroviaires et des situations très difficiles à dénouer, parce que chaque individu n'a pas la même vision de la légitimité des conseils de bandes et des chefs héréditaires, et comme la fierté nationale pour nous, l'attachement aux valeurs ancestrales n'est pas le même pour tous. Donc, non, ils ne s'entendent pas, et non, ils ne sont pas tous pour le maintien des blocus.
Ça ne veut pas dire que les négociations ont été faites dans les règles de l'art pour autant.