La souffleuse est venue avec la maison.
On a commencé par louer, dans le même quartier qu'on aime bien, à 15 secondes à pied de notre ancien appart - jamais bien loin du Bar à Piton où j'ai mes habitudes. Je pense que la pancarte est restée dans la rue moins d'une demie-journée. Ça faisait 4 ans qu'on cherchait. Le propriétaire était en pleine séparation, le genre de gars qui fait une grosse paye à l'Alcan, bon jack, mais pas regardeux sur ses dépenses et qui se retrouve avec des femmes capricieuses et dépensières. Le genre à refaire son mobilier aux deux ans et à acheter les garanties prolongées de 5 ans dans le même temps.
Il déménage chez sa nouvelle blonde, qu'il a déjà toute équipé. Sa maison, qu'il se gardait de spare, il en aura pas besoin, il est dans l'Amour avec un grand A. En plus, ça lui rappelle son ex. Il peut donc la louer à une jeune famille. Dedans, il y a une télé à écran plat vissée sur le mur, tous les électroménagers, un divan, un fauteuil, un atelier de menuiserie et de petit bricolage assez bien équipé, et dans la remise, des outils de jardinage, une prise électrique, un banc de scie, une tondeuse et une souffleuse à bras (tout ce qu'il laisse sera estimé dans le prix de vente).
J'ai comme dans l'idée que c'est une souffleuse Honda, mais j'ai jamais été ben bon dans les marques et les séries. Je retiens pas ça. Pis pas rienque pour les machines, quand je suis prof de guitare, j'en ai toujours qui viennent me parler des grandes marques de guitare, Fenders et compagnie, et dans ce temps là j'opine de la tête en disant hmm hmm pour pas les décevoir, mais j'ai jamais rien à dire là-dessus.
A' part à clutch ou à la clé quand elle est pluguée. Récemment, la broche qui assurait la marche à reculons a lâchée, il manque une petite pièce en forme de crochet, il faut reculer en tirant. Mais je recule jamais en tirant. J'aime mieux pelleter.
Je me rappelle, quand j'étais chez mes parents, les corvées de pelletage. Quand ça tombait sur moi, j'en faisais toujours le minimum. De quoi placer les pieds l'un devant l'autre. Le driveway pareil, un petit espace de chaque côté des véhicules, aucun sens pratique et aucun sens de l'esthétique. Et parlez moi pas de fierté, j'aurais trouvé ça aussi cave d'être fier de son pelletage que de sa crotte envoyée dins toilettes.
Mais aujourd'hui quand il neige pour la peine, j'ai hâte. Je choisis mon temps, je crinque les gars en avance « allez hop! dans 30 min, on éteint les écrans et on va pelleter dehors!». Un bon café bien chaud, avec une shot de Sortilège Crème quand je suis en congé. «10 minutes!!». Je rentre les suits de neige pour qu'ils soient T° pièce. Je dis au plus jeune de préparer des grands verres d'eau et de remplir la cruche parce qu'on va avoir soif.
Pis là on part. J'ai toute mon plan dans ma tête, par où passer, d'abord fendre un passage vers la rue, ensuite balayer le derrière des véhicules, vers la droite (on veut pas accumuler à gauche pour que la gratte nous renvoie toute ça dessus). Le Petit peut faire ça pendant que le plus grand balaye les chars ou fait l'allée jusqu'à la remise. Moi je commence à attaquer l'ourlet de neige tapée, avec la pelle-traineau. Etc. Après il faut hisser la neige jusqu'en haut de la butte, elle est déjà plus haute que moi et on est même pas en février. Je veux que ça soit beau, grand, confortable et plaisant pour ma petite femme quand elle est chargée de paquets ou qu'elle reçoit de la visite. Même mon point dans le dos du pelleteur me fait sourire.
Les jeunes veulent faire le minimum. Comme moi à leur âge. Le plus grand botche mais fait toujours du passable. Le plus jeune peut péter des coches, crier, pleurer qu'il a froid, surtout dans les premières 5-6 minutes, mais on garde le cap. C'est là qu'on boit de l'eau à pleines gorgées. «Tu vois?! Nos corps avaient soif, mais à rester assis en dedans, on s'en rendait pas compte!». On a les joues rouges et le nez rouge, on repart!
À la fin, je fais la finition, pour que ce soit clean cut. Je finis souvent le coat détaché, pas de tuque, pas de foulard, juste mes gants de travail avec du minou en dedans. Pour le plus jeune, ça a un effet presque magique. Après la sortie de pelletage et sa crisette du début, il est plus patient, plus affectueux, plus attentif, plus serviable.
«Mais», me direz vous, «pourquoi tu racontes ça dans un topic de souffleuses?». Eh ben, parce que la souffleuse sort de temps en temps. Il y a le beau-père qui passe. Des fois je suis un peu en retard sur le pelletage, j'ai des gigs à l'extérieur ou je suis dans ma famille et il en profite pour passer la souffleuse. Re-vérifier le niveau de gaz. Lui passer un ti linge.
Au début, j'étais vraiment pas proche de ma belle-famille. Le bonhomme était hyper contrôlant, anxieux, conformiste, alors que moi j'étais bohème, nonchalant, anticonformiste. On est encore issus de deux cultures vraiment différentes. Mais on a fini par se comprendre et se rapprocher, d'une certaine manière. Je pense qu'il n'a jamais dit "je t'aime" à sa fille, en près de 40 ans. Sa façon bien à lui de le dire, j'ai compris ça, c'est, entre autre, de passer la souffleuse. De préférence, dans les pires conditions, à -37°C , après une bordée de 25-30 cm, dans la grosse rafale, des affaires de même.
Faut comprendre que le gars s'est retrouvé veuf à 23 ans, avec un bébé de 15 mois dans les bras, une petite fille orpheline de mère, les deux complètement désemparé(e)s. Il n'a pas été toujours exemplaire et je pense qu'il se sent souvent coupable, parfois à raison. Disons qu'il est un meilleur grand-père qu'il a été père. J'essaie d'aider ma blonde à faire la paix avec tout ça. Mais bref, la souffleuse a la place centrale dans la remise, face à la porte, prête à être utilisée.
Et ces derniers temps, on peut voir le grand-père en train de faire essayer la souffleuse aux gars, leur expliquer comment ça marche, comment en prendre soin, activer le choke, tirer la clutch, manoeuvrer la trompe, etc. Dans ma tête, je me dis que c'est bien des détours pour leur dire un message bien simple et bien beau, qui part du fond du coeur.
EDIT: En passant, merci à Charlemagne pour avoir aménagé dans le forum, un petit coin «racontages au bord du foyer».
