Deux articles de Wikipédia :
Règle de proximitéEn grec ancien, en latin ou encore en ancien français, l’on rencontrait la règle dite « de proximité », autrement appelée « accord de voisinage ». C’est « un accord grammatical qui consiste à accorder le genre et éventuellement le nombre de l’adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie, et le verbe avec le plus proche des chefs des groupes coordonnés formant son sujet. » En français, cette règle a fini par être reléguée au statut d’exception […].
«
XVIIe et XVIIIe siècles : la règle de primauté du masculin est argumentéePour la linguiste Lucy Michel, c’est aux XVIIe et XVIIIe siècles qu’apparaît la formulation de la règle de primauté du masculin, corrélée à « une certaine conception de la domination masculine, présentée comme essentielle, naturelle et indiscutable ». Elle caractérise ainsi l’évolution des accords, notamment l’accord en genre : « L’accord de proximité, intra-linguistique, cède le pas à un accord par défaut au masculin, fondé sur l’idée non-linguistique que la matrice de l’humain est le mâle ».
Pour l’historienne de la littérature Éliane Viennot, le poète français Malherbe, commentant son contemporain Desportes, serait le premier à avoir critiqué l’emploi d’accords de proximité. Commentant ce vers de Desportes, « Pour rendre mon désir et ma peine
éternelle », il estime que
éternelle ne se rapporte qu’à
peine. […] « commentant une phrase que Malherbe présente comme un écueil à éviter (« Ce peuple a le cœur et la bouche
ouverte à vos louanges »), Vaugelas invoque la noblesse du masculin pour justifier qu’il l’emporte sur le féminin, même si à cette occasion il admet une exception car cela heurte trop l’usage de son temps : « Il faudrait dire,
ouverts, selon la grammaire latine, qui en use ainsi, pour une raison qui semble être commune à toutes les langues, que le genre masculin étant le plus noble, [il] doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble, mais l’oreille a de la peine à s’y accommoder, parce qu’elle n’a point accoutumé de l’ouïr dire de cette façon, et rien ne plaît à l’oreille, pour ce qui est de la phrase et de la diction, que ce qu’elle a accoutumé d’ouïr. Je voudrais donc dire,
ouverte, qui est beaucoup plus doux, tant à cause que cet adjectif se trouve joint au même genre avec le substantif qui le touche, que parce qu’ordinairement on parle ainsi, qui est la raison décisive, et que par conséquent l’oreille y est toute accoutumée. » […] Plus loin : « Trois substantifs, dont le premier est masculin, et les autres deux, féminins, quel genre ils demandent ? Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins, même quand ils sont plus proches du régime. »
Marie-Louise Moreau résume la position de Vaugelas en disant qu’il distingue deux règles, selon que le receveur d’accord est épithète ou employé avec
être : « Dans le premier cas, Vaugelas penche pour l’accord de proximité, dans le second, pour l’accord au masculin ». Il est suivi en ce sens par les grammairiens Laurent Chifflet (1680), Claude Buffier (1709), Thomas Corneille (1738) et par l’Académie française (1704) […] ».
Le grammairien Scipion Dupleix, quelques années après Vaugelas (dès 1651), est plus catégorique dans son ouvrage intitulé
Liberté de la langue françoise dans sa pureté : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux ou plusieurs féminins, quoi qu’ils soient plus proches de leur adjectif » […].
On note à cette époque des hésitations chez certains auteurs dans l’application ou non de l’accord de proximité […].
Concernant les arguments avancés en soutien à la règle, outre Vaugelas cité ci-avant, plusieurs grammairiens invoquent la « noblesse » comme motif de supériorité. C’est le cas chez l’abbé Bouhours en 1675 : «
quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte » […].
Chez Nicolas Beauzée en 1767, cette affirmation est rendue plus explicite : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ; le masculin et le féminin sont plus nobles que le neutre, à cause de la supériorité des êtres animés sur ceux qui ne le sont pas ». Ce recours au principe de la « plus grande noblesse » se retrouve dans les
Principes généraux et raisonnés de la grammaire françoise de Pierre Restaut, dans la
Grammaire françoise simplifiée de François-Urbain Domergue et dans la
Grammaire générale des grammaires françaises de Napoléon Landais. Noël-François De Wailly expose toutefois la règle sans référence à la « noblesse ». De même pour la
Grammaire françoise raisonnée (1721) du pédagogue et grammairien Monsieur de Vallange, le masculin l’emporte car il est plus « fort ».
Le linguiste et grammairien André Chervel note que l’argument de la plus grande noblesse a aussi été invoqué par des grammairiens aux XVIIe et XVIIIe siècles (Claude Irson, Laurent Chifflet, Jean de Vayrac, Denis Gaullyer) pour expliquer une supériorité de la première personne (je) sur la deuxième (tu), puisque les deux combinées forment la première personne du pluriel (nous). On trouve cette règle à l’article « François » (
français) de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers […].
André Chervel cite aussi l’auteur Jean-Baptiste du Val, au début du XVIIe siècle, sur la relation entre le substantif et l’adjectif : « Quelques-uns ont dit que le substantif était le mâle, et l’adjectif la femelle, d’autant que celui-là est le plus noble, plus significatif et non sujet à autrui ». Mais Marc-Alexandre Caminade et Charles-Pierre Girault-Duvivier mettent en avant l’argument de l’antériorité : l’adjectif « se met au masculin comme à son genre primitif, tout nom susceptible des deux genres étant masculin avant d’être féminin ». Cet argument de l’antériorité se retrouve aussi dans le
Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue françoise de Jean-Charles Laveaux : « puisqu’il n’y a pas plus de raisons pour faire l’adjectif masculin que pour le faire féminin, il est naturel qu’on lui laisse sa première forme, qui se trouve celle qu’il a plu d’appeler genre masculin ». Pour André Chervel, c’est l’avis de Condillac qui est décisif pour écarter l’argument de la « noblesse » : « Une preuve que la noblesse du genre n’est point une raison, c’est que l’adjectif se met toujours au féminin, lorsque, de plusieurs substantifs, celui qui le précède immédiatement, est de ce genre. On dit :
il a les pieds et la tête nue, et non pas
nus :
il parle avec un goût et une noblesse charmante, et non pas
charmants. L’adjectif dégénère-t-il de sa noblesse, en prenant le genre féminin ? »
Mais Louis-Nicolas Bescherelle rappelle encore dans l’édition de 1850 de sa
Grammaire nationale : « Dans ces exemples, souvent cités, le féminin est à sa place ; l’ironie explique tout. Le but des auteurs est d’exprimer un ridicule ; or, la masculinité annonce toujours une idée grande et noble ; elle eût été déplacée ici sous la plume satirique de nos grands écrivains. Le féminin est donc venu là, parce que le masculin n’y pouvait être. Les exemples d’expressions féminines, dans l’ironie, sont très nombreux. En effet, veut-on peindre d’un seul trait un guerrier qui manque de courage, on l’appelle ironiquement
une femme ! Celte ironie est de la dernière injustice, il est vrai, mais enfin elle explique les peuples qui s’en servent et les langues qui l’emploient. En France, l’ironie est féminine, parce que le masculin est toujours noble dans son emploi. Du reste, l’ancienne grammaire avait admis cette vérité, en lui donnant cette forme si connue :
Le masculin est plus noble que le féminin. »
XVIIIe et XIXe siècles : la règle de primauté du masculin est assertéePour Lucy Michel, à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, les arguments utilisés pour justifier la primauté du masculin disparaissent des grammaires au profit d’une assertion gnomique : « La naturalisation, en s’effaçant comme processus et en ne laissant apparaître que le résultat final, est donc amenée à son terme ». Elle souligne qu’à partir de cette époque, la règle est énoncée comme un fait incontestable, sans explication liée à une supériorité ou une antériorité du masculin : « à la fin, il ne reste plus que la loi, l’argument d’autorité qui pose l’incontestabilité du phénomène linguistique ».
À la fin du XVIIIe siècle, l’accord de proximité n’a toutefois pas totalement disparu, comme le montre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui pratique encore un accord de proximité dans son article VI […].
Un autre exemple d’emploi, plus tardif encore, de cet accord est rapporté par le général Gaspard Gourgaud. Il rapporte une conversation qu’il a eue le 6 février 1817 à Sainte-Hélène avec Napoléon Ier sur la grammaire du français, où ce dernier défend que « lorsque deux substantifs s’accordent avec un adjectif, celui-ci prend le genre du dernier » […].
Chez les grammairiens, au XIXe siècle, la règle générale de l’accord sur le masculin reste énoncée avec des exceptions et des réserves. Ainsi, si dans sa
Grammaire des grammaires, Charles-Pierre Girault-Duvivier énonce que « L’Adjectif se rapportant à deux ou plusieurs Substantifs distincts et du nombre singulier se met au pluriel, et prend le genre masculin, si […] les Substantifs sont de
genres différents », il défend encore partiellement l’accord de proximité […].
En ce qui concerne les grammaires scolaires du XIXe et du XXe siècles, si l’historien André Chervel ne trouve pas de mention du terme « proximité », il note que le terme « voisin » ou même parfois « accord de voisinage » a pu être utilisé. Plus souvent, on y invite simplement l’élève à pratiquer « l’accord avec le dernier substantif » « lorsque les substantifs sont synonymes », comme dans la
Grammaire mnémonique d’Albert de Montry de 1836 (« même observation chez Bonneau et Lucan (1838), Larousse (1880), Larive et Fleury (1902), ou Souché et Lamaison (1955) »). L’exception de la gradation est aussi mentionnée, comme dans le
Mémento théorique du brevet de Coudert et Cuir de 1887.
L’accord de l’adjectif avec des noms de choses est aussi cité comme une exception, avec pour appui le vers de Racine « Armez-vous d’un courage et d’une foi
nouvelle », dans la
Grammaire de la langue française d’Israël-Michel Rabbinowicz, parue en 1886, ou dans la
Grammaire française d’Oscar Bloch et René Georgin de 1936. Pour Auguste Brachet et Jules Dussouchet, dans leur
Grammaire française complète à l’usage de l’enseignement secondaire et de l’enseignement primaire supérieur, parue en 1888, l’accord de proximité est mentionné au titre d’un rappel historique : « dans notre ancienne langue, ces règles d’accord n’étaient pas suivies ; d’ordinaire le verbe s’accordait seulement avec le nom le plus rapproché ». André Chervel cite aussi la
Grammaire française à l’usage des athénées, des collèges et des écoles moyennes de Bernard Van Hollebeke et Oscar Merten, parue en 1923, qui recommande encore la construction «
Grande fut ma surprise et mon étonnement ».
Pour la formule « le masculin l’emporte sur le féminin », « l’une des plus célèbres de la grammaire française », André Chervel remarque son absence « de la plupart des ouvrages de grammaire française », quoiqu’il cite une formule proche dans un manuel pour le cours préparatoire de 1887 : « Le masculin a la priorité sur le féminin : “Le père et la mère sont contents” ». Mais il souligne que « le petit nombre des occurrences de la formule dans l’imprimé contraste avec son incroyable célébrité ». Elle figure, illustrée par Raylambert, dans un manuel de 1951.
Des propositions de retourAu XXIe siècle, des propositions de retour à l’accord de proximité pour l’accord du genre sont avancées.
Dénonçant la « réforme sexiste de la langue » ayant conduit à l’abandon de l’accord de proximité, plusieurs associations dont la Ligue de l’enseignement et Femmes solidaires lancent en 2011 une pétition et demandent à l’Académie française de réformer l’accord de l’adjectif en faveur de l’emploi de l’accord de proximité dans l’accord du genre.
D’autres institutions proposent une alternative : l’Office québécois de la langue française distingue l’« accord de proximité » au sens de cet article (accord qui n’est plus la « règle habituelle ») et une « règle de proximité » selon laquelle on doit préférer « l’étudiante et l’étudiant inscrits » à « l’étudiant et l’étudiante inscrits » : l’adjectif étant au masculin, le nom masculin doit être plus près pour des raisons stylistiques. L’Office ne recommande pas l’usage du féminin grammatical comme outil de promotion dans ce contexte.
Pour André Chervel, avant tout la question des accords ne peut être séparée du rôle majeur du masculin dans l’économie générale du système de la langue. Ensuite, il constate que les grammaires anciennes se sont peu intéressées à la question de l’accord de l’adjectif quand il se rapporte à la fois à un nom masculin et à un nom féminin (pour le XVIIe siècle, dix-neuf ouvrages seulement le mentionnent, sur soixante-deux qu’il a consultés). Enfin, il souligne que les multiples grammaires du XIXe et du XXe siècles qui continuent à mentionner l’accord de proximité, ne serait-ce que sous la forme de la recommandation de ne pas placer le substantif féminin à côté de l’adjectif appliquant la règle du masculin pluriel, illustrent la survivance de cet accord jusqu’à notre époque, et que cette quasi-survivance démontre, selon lui, qu’il n’y a pas eu « une masculinisation délibérée du français à l’époque classique » visant à le faire disparaitre, qui est la thèse défendue par Éliane Viennot. Toutefois, il affirme, en même temps, que rétablir l’usage de cet accord reviendrait à « s’en prendre tôt ou tard à la structure même de la langue ».
Pour la linguiste Lucy Michel, la croyance en la prédominance intrinsèque du masculin est un effort de « déshistoricisation et de décontextualisation de la langue, qui est posée comme dénuée de tout lien avec le monde extralinguistique, et plus simplement, avec la société ».
Pour Antoine Gautier, chercheur sur la syntaxe et la linguistique française, le problème réside surtout dans la formulation malheureuse de la règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin ». Ainsi, après « le masculin est plus noble que le féminin » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1850), puis « le masculin l’emporte sur le féminin » (Berthou, Gremaux et Vœgelé, 1951), les linguistes Anne Dister et Marie-Louise Moreau recommandent d’utiliser plutôt la formule « l’accord se fait au masculin ». »
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_de_proximit%C3%A9#cite_note-Michel2016Michel-2016b11-29Règle de primauté du masculin« La règle de primauté du masculin est une convention linguistique qu'on résume souvent par la formule « le masculin l'emporte sur le féminin ».
PrincipeLorsque le genre masculin (genre « non-marqué », héritier du neutre en latin) rencontre le genre féminin (genre « marqué ») dans une même phrase, l'accord commun sera fait au masculin générique (« non-marqué ») quel que soit le nombre de sujets féminins ou masculins et leur emplacement […].
OrigineLe latin (dont est issu le français) connaissait trois genres grammaticaux, comme aujourd'hui encore l'allemand : le masculin, le féminin et le neutre. La grande ressemblance entre le masculin (
-us à la 2e déclinaison) et le neutre (
-um à la 2e déclinaison) les a fait se rapprocher puis se confondre à la suite de la chute phonétique de la consonne finale (phénomène d'amuïssement) dès la fin de l'Antiquité. Le masculin est donc devenu le genre « par défaut », ce qui explique qu’il intervient dans l’accord par résolution (la fille et le garçon sont partis), comme indéfini (ils ont encore augmenté les impôts), impersonnel (il pleut), ou neutre (c’est beau).
Cette évolution a débouché au Moyen Âge sur un système à deux genres grammaticaux (aujourd'hui en vigueur dans toutes les langues romanes), qu'on désigne parfois par les expressions « genre non marqué » (masculin, parfois appelé aussi « masculin générique ») et « genre marqué » (féminin). Par exemple, le mot « chat » peut être soit commun (chat dont on ignore le sexe), soit masculin (chat de sexe mâle), alors que « chatte », substantif marqué, désigne nécessairement une féline femelle.
Cette règle s'impose dans le langage courant à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle.
DébatsPartant d'une lecture politique de la formule scolaire « le masculin l'emporte sur le féminin », certaines féministes ont vu dans cette règle grammaticale un mécanisme de domination masculine. Ainsi, on peut relever des justifications d'allure sexiste chez certains grammairiens classiques comme Scipion Dupleix (« Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. » dans
Remarques sur la langue françoise, 1651) ou Nicolas Beauzée (« Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », 1767).
Encore aujourd'hui, les implications sociales de cette règle sont débattues. Certains considèrent que la « noblesse » évoquée par Scipion Dupleix est purement linguistique et n'a pas prétention à constituer une métaphore sociale.
AlternativesUne autre règle, la règle de proximité consiste à accorder le genre et parfois le nombre de l’adjectif avec le plus proche des noms qu’il qualifie, ainsi que le verbe avec le plus proche des chefs des groupes coordonnés formant son sujet. Elle est par exemple présente en latin et en grec ancien, ainsi que dans certaines langues africaines.
Cette règle était utilisée par certains auteurs aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment par le grammairien Claude Favre de Vaugelas (1585-1650), l'un des premiers membres de l'Académie, et par Racine dans
Athalie (1691). »
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_de_primaut%C3%A9_du_masculinP.-S. (Post-scriptum) :
Et j'avoue que je me suis toujours demandé ce que voulait dire exactement "cf." même si j'ai toujours deviné que ça veut dire "voir".
« Cf. » = « Confer » (abréviation d’origine latine). Cette abréviation invite le lecteur à se reporter à telle source ou à tel document.