À vrai dire, ce problème ne me surprend guère, car l’article 227-24 du Code pénal n’est pas le seul à être rédigé de façon critiquable (manque de clarté, de précision, etc.). Dans le cadre de certains exercices, les étudiants en droit sont habitués à analyser/décortiquer et à critiquer (positivement et/ou négativement) certains textes, ou à commenter des décisions de justice. En outre, les magistrats (notamment) sont également confrontés à ce problème-là dans l’exercice de leurs fonctions.
Personnellement, comme je l’ai dit précédemment, je pense, à l’instar d’autres personnes, et cela est plus ou moins évident lorsqu’on lit l’article en question, que le texte est mal rédigé, que le législateur (le Code criminel, pour ne citer que lui, contient également des notions de ce genre-là) a employé certains termes larges (comme l’expression « à caractère violent »), « ouverts », aux contours flous, qu’il n’a pas définis. (La définition ou l’appréhension juridique d’un terme ou d’une notion n’est d’ailleurs pas forcément identique à la définition que l’on peut trouver dans un dictionnaire non juridique.) Cela donne l’impression d’une certaine imprévisibilité des solutions et cela pose en pratique des difficultés d’appréciation non négligeables. Par définition, tout message public est susceptible d'atteindre un mineur. Ce faisant, la prohibition posée par l'article 227-24 revient en pratique à interdire la circulation des images nocives sur la voie publique et dans tous les lieux publics accessibles aux mineurs. Ce texte permettrait, s’il était appliqué aveuglément et à la lettre, de vider les bibliothèques, les cinémas ou bien encore les musées, en quelque sorte. Reste que ce n’est bien évidemment pas ce qui se passe en réalité. Les magistrats sont d’ailleurs généralement assez sensés, et ils doivent concilier plusieurs impératifs.
Qu'est-ce qu'un message à caractère violent ? Faut-il étendre l'incrimination à toutes sortes de brutalités, y compris envers les biens ou les animaux ? Si tel était le cas, cela reviendrait à faire tomber sous le coup de la loi pénale la majeure partie des images circulant sur Internet, à la télévision, dans les journaux ou dans les salles de cinéma ; ce qui constituerait sans doute une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication. Par ailleurs, le caractère violent de l'image doit-il être apprécié seulement au regard du contenu intrinsèque de cette image ? Ou faut-il également prendre en compte l'impact de l'image, c'est-à-dire l'impression de violence que ressent le spectateur ? En toute hypothèse, ne faudrait-il pas également prendre en compte un élément psychologique, à savoir l'état d'esprit de l'auteur de la diffusion, « afin de vérifier la pureté de ses intentions, sa volonté de profiter ou non de la curiosité malsaine ou morbide du public » ? Etc. Autant de questions auxquelles la jurisprudence devra apporter des réponses. Tels sont peu ou prou les propos tenus par Maxime Louvet dans son
mémoire de 2014, 20 ans après la naissance de l’article en question. Et effectivement, lorsqu’un texte n’est pas clair, précis, etc., l’on se tourne généralement vers la jurisprudence afin d’y voir plus clair.
Dans ce but-là, j’ai justement cherché des décisions de justice relatives à l’article 227-24 du Code pénal ; je suis notamment tombée sur cette décision :
https://www.courdecassation.fr/decision/5fd911e4e32854ac37e61659, ainsi que sur celle-ci :
https://agnestricoire-avocat.fr/medias/pornographie_artcontemporain.pdf, mais les décisions relatives aux « messages à caractère (uniquement) violent » semblent peu nombreuses... En dépit de mes recherches, je ne suis pas tombée dessus, du moins.
Concernant le «
susceptible d’être vu ou perçu par un mineur », outre la diffusion délibérée à un mineur, c’est, semble-t-il, l'absence de précautions (suffisantes) prises pour éviter l'accès à des mineurs qui est sanctionnée. La Cour de cassation est venue préciser que les juges apprécient souverainement si les mesures prises pour empêcher la vision ou la perception du message par un mineur ont été suffisantes pour considérer que le délit n’est pas constitué.
Selon un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, l'infraction est par exemple constituée lorsque la publication en cause n'est pas vendue exclusivement dans des endroits où un contrôle minimal peut être effectué sur les revues, auxquelles peuvent accéder les mineurs, ou encore lorsque la publication est vendue à la criée, pratique qui ne permet pas d'éviter l'acquisition ou la vision de ces journaux par les mineurs (CA Aix-en-Provence, 13e ch., 9 février 1996).
Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l'infraction est également constituée lorsqu'un enseignant a transféré sur l'ordinateur d'une salle de classe des images pornographiques qu'il savait nécessairement, en raison de l'insuffisance des précautions et protections existantes (les images étaient simplement enregistrées dans un fichier intitulé "perso"), accessibles à ses élèves mineurs (Crim. 12 octobre 2005).
Concernant l’affaire
Présumés innocents, l’on peut par exemple lire : « Dernier argument pour prononcer le non-lieu, une signalétique particulière avait été mise en place pour certaines œuvres, des surveillants postés près des plus explicites, et l’information ne permettait pas de démontrer que les mineurs avaient eu accès au catalogue et à l’album sur lesquels la plainte était fondée. […] Les précautions suffisent donc ».
En décembre 2021, le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (
Arcom) a, dans le cadre des pouvoirs qui lui ont été confiés (
article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020,
décret n° 2021-1306 du 7 octobre 2021),
mis en demeure cinq sites pornographiques de mettre en place un contrôle effectif de l’âge de l’internaute. Ces mises en demeure n’ayant pas été suivies d’effet, le président de l’Arcom a, en mars 2022, demandé au président du tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de la loi du 30 juillet 2020, le blocage des sites permettant à des mineurs d’accéder aux contenus à caractère pornographique, en violation de l’article 227-24 du Code pénal.
En septembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a proposé une médiation, c’est-à-dire l’intervention d’un tiers neutre dont la mission est de résoudre le différend en dehors des tribunaux. En tant que procédure volontaire et non contraignante, la médiation peut cependant être interrompue à tout moment, autant par les parties que par le médiateur :
https://www.lessurligneurs.eu/larcom-essuie-un-revers-judiciaire-dans-son-combat-pour-le-blocage-des-sites-pornographiques-qui-ne-controlent-pas-suffisamment-lacces-des-mineurs/. L’Arcom a récemment décidé de se retirer de la procédure de médiation.
Par ailleurs, l’une des sociétés éditant l’un des sites mis en cause (
Pornhub) a adressé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la Cour de cassation. Selon l’article 23-4 de la
loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation procède au renvoi de la question au Conseil constitutionnel si, au surplus de l’applicabilité des dispositions en cause au litige et d’une absence de réponse déjà formulée par le Conseil sur la constitutionnalité de ces dernières, « la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux ». Les deux premières exigences ne posaient aucune difficulté et la Cour de cassation a donc successivement examiné les deux conditions relatives au caractère nouveau, d’une part, et au caractère sérieux, d’autre part, pour conclure qu’aucune des deux n’était remplie en l’espèce. Dans sa
décision en date du 5 janvier 2023, elle a notamment souligné que le cadre juridique en cause était « suffisamment clair et précis pour exclure tout risque d’arbitraire ». (La consigne donnée par la loi du 30 juillet 2020 est très claire : le bouton « plus de 18 ans » ne suffit plus.) En outre, la Cour a estimé que « l’atteinte portée à la liberté d’expression, en imposant de recourir à un dispositif de vérification de l’âge de la personne accédant à un contenu pornographique, autre qu’une simple déclaration de majorité, est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de protection des mineurs ».
Il est à noter que le Conseil d’État a également rejeté deux requêtes introduites au nom de deux autres sites,
YouPorn et
RedTube, car la juridiction administrative n’était pas compétente pour connaître des conclusions desdites requêtes :
https://justice.pappers.fr/decision/8a1161ada2e43f6614d905ba2242a4d9 ;
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-11-29/463163.
L’architecture du Web étant celle d’un réseau ouvert, librement accessible sans authentification, le contrôle de l’âge des internautes pose des difficultés techniques importantes et s’expose à des possibilités de contournement. Il conduit également à collecter des données personnelles et présente des risques pour la vie privée :
https://www.cnil.fr/fr/controle-de-lage-pour-lacces-aux-sites-pornographiques.
La loi ne précise pas le dispositif qu’il convient de mettre en œuvre pour contrôler l’âge de l’internaute se rendant sur un site pornographique. La CNIL a, de son côté, passé en revue les systèmes exploitables pour contrôler l’âge des internautes. (En Louisiane, un contrôle est effectué via le permis de conduire :
https://www.numerama.com/tech/1230502-les-sites-porno-sont-impuissants-en-justice-pour-empecher-le-controle-de-lage-en-france.html.) Aucun n’est parfait. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut aucunement s’en servir. Des recommandations sont faites en la matière. « À défaut de pouvoir viser une efficacité absolue, il convient de choisir des dispositifs pertinents et sécurisés pour atteindre le meilleur résultat possible. »
https://www.cnil.fr/fr/verification-de-lage-en-ligne-trouver-lequilibre-entre-protection-des-mineurs-et-respect-de-la-vie ;
https://www.numerama.com/tech/1055100-il-ny-a-pas-de-solution-parfaite-pour-verifier-lage-des-internautes-accedant-aux-sites-x.htmlConsciente des enjeux en termes de protection de l’enfance et de vie privée, la CNIL a conçu, d’après ses dires, le prototype d’un dispositif permettant à la fois d’assurer un contrôle efficace, car reposant sur une preuve d’âge, et de garantir une forte protection de la vie privée. La CNIL recommande que les mécanismes de contrôle de l’âge soient mis en œuvre par des organismes distincts de l’éditeur du site visité et reposent sur les principes suivants :
- Celui qui certifie que vous avez l’âge requis sait qui vous êtes, mais ne sait pas quel site vous visitez.
- Le site visité reçoit la preuve que vous avez l’âge requis, mais ne sait pas qui vous êtes.
Le Gouvernement a récemment annoncé le lancement de cette expérimentation.
Contrairement à ce qui est parfois dit, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) n’est pas incompatible avec un contrôle de l’âge pour l’accès aux sites pornographiques, qui est prévu par la loi. Dans sa
position publiée en juillet 2022, la CNIL a appelé au développement de nouvelles solutions. Elle a également indiqué qu’en l’attente du déploiement de systèmes plus vertueux, elle juge acceptable le recours à la vérification de l’âge par validation de la carte de paiement ou des procédés d’estimation de l’âge reposant sur une analyse faciale sans reconnaissance faciale. Dans les deux cas, elle recommande que ces systèmes ne soient pas mis en œuvre directement par le site web consulté mais par un tiers indépendant. La CNIL rappelle que c’est aux sites pornographiques que revient la responsabilité de choisir et de mettre en œuvre, d’ores et déjà, une solution qui respecte les exigences légales de contrôle de l’âge, sous le contrôle de l’Arcom et du juge judiciaire.
En fait, c’est plus compliqué que cela en a l’air. Il existe notamment un régime administratif et un régime pénal, et il faut articuler tout cela. En outre, il existe en quelque sorte des textes / une réglementation pour chaque « matière/domaine ». J’essaie de résumer le tout, mais ce n’est pas évident…
Si la régulation laisse à désirer sur Internet, il y a une régulation relativement stricte des contenus diffusés au cinéma et dans les médias audiovisuels :
https://www.senat.fr/rap/r21-900-1/r21-900-17.html#toc221.
La
Commission de classification des œuvres cinématographiques est une commission (décomposée en comités) visant à classifier les films et leurs bandes-annonces selon l'âge du public autorisé pour l'exploitation en salles. Elle peut en outre recommander l'interdiction totale du film, ou préconiser des avertissements sur le contenu ou la particularité d'une œuvre. De nature consultative, son avis est requis par le ministre de la Culture en préalable à l'octroi d'un visa d'exploitation (
article L. 211-1 du Code du cinéma et de l'image animée).
- Tous publics ;
- Interdit aux moins de 12 ans ;
- Interdit aux moins de 16 ans ;
- Interdit aux moins de 18 ans non classé X ;
- Interdit aux moins de 18 ans classé X. Cependant, le dernier classement « X » date de 1996 et la dernière salle spécialisée a fermé en 2019.
Chacune de ces mesures peut être accompagnée d'un avertissement destiné à l'information du spectateur sur le contenu de l'œuvre ou certaines de ses particularités.
Aussi rares soient-elles, des poursuites pénales peuvent être engagées (cf. le principe de séparation des pouvoirs) en raison de la diffusion de tel ou tel film, y compris si un visa d’exploitation a été accordé par le ministre de la Culture. En 1979, la Chambre criminelle a par exemple admis que le classement des films X et le cantonnement de leur diffusion à des salles spécialisées n'interdisait pas de poursuivre les producteurs, distributeurs ou diffuseurs sur le fondement de l'article 283 ancien du Code pénal, afin de sanctionner les films qui, « essentiellement consacrés à la représentation minutieuse de violences et perversions sexuelles, dégradantes pour la personne humaine, font outrage aux bonnes mœurs ». À vrai dire, la jurisprudence s'est surtout développée à propos des affiches de cinéma qui, jusqu'en 2008, étaient elles aussi soumises au contrôle de la Commission de classification et devaient, au même titre que le film, obtenir un visa. La classification retenue par les autorités administratives ne lie donc pas le juge pénal qui garde toute son autonomie (cette dernière joue parfois dans un sens favorable aux prévenus). La classification n'est toutefois pas totalement inutile. D'abord, elle garde un effet non négligeable sur le plan administratif en servant une politique de prévention. Ensuite, elle apporte au juge pénal des indices importants sur la nature des images en cause.
À la télévision :
Les chaînes de télévision doivent signaler si leurs programmes sont déconseillés ou interdits en dessous d'un certain âge. Pour cela, certains programmes télévisés comportent un logo signalant un âge minimal pour le visionnage. Ces programmes peuvent également être soumis à des restrictions horaires. Les classifications à la télévision sont laissées à l'appréciation de la chaîne et décidées par l'
Arcom (anciennement « CSA », Conseil supérieur de l’audiovisuel), selon le montage qu'elle diffuse (sauf pour les œuvres cinématographiques déjà classées). Il existe cinq catégories :
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32346 :
- Programme tous publics ;
- Programme déconseillé aux moins de 10 ans ;
- Programme déconseillé ou interdit aux moins de 12 ans ;
- Programme déconseillé ou interdit aux moins de 16 ans ;
- Programme déconseillé ou interdit aux moins de 18 ans.
Ainsi, les films pornographiques diffusés depuis 1985 sur
Canal+ le premier samedi du mois respectent par exemple un certain nombre de règles : double cryptage, diffusion après minuit, préservatif obligatoire, interdiction de la violence, des gifles et des claques, pas de mise en scène de rapports tarifés ou de viols, etc.
Contrairement aux médias audiovisuels, où elle assure un contrôle contenu par contenu, l'Arcom ne contrôle pas chaque contenu publié
en ligne mais s'assure que les plateformes ont mis en œuvre des outils et moyens afin de répondre aux grands objectifs de politique publique en matière de lutte contre les contenus illicites et préjudiciables, et de protection du public. Elle s'assure que les plateformes mettent bien en œuvre, de façon transparente et équilibrée, leurs obligations de signalement ou encore de modération.
1/2