« Florent Gorges, auteur de
L’Histoire de Nintendo Vol.4 — 1989-1999 : L’incroyable histoire de la Game Boy, explique d’ailleurs dans une vidéo visant précisément à répondre à la question qui nous intéresse que le choix du masculin est le fruit d’une stratégie marketing spécifique. Le but : faire passer la NES et la Game Boy pour des « systèmes de divertissement » et pas seulement des « consoles ». Après tout, dans le cas de la
Nintendo Entertainment System, c’est écrit directement dans son nom.
Quant à la presse vidéoludique de l’époque, Oscar Lemaire, journaliste spécialisé sur
Nintendo, il rappelle qu’au début, elle ne considérait pas la Game Boy comme une console portable, mais bien comme un jeu. Ainsi, on dirait
un Game Boy comme on dirait un
Monopoly, un
Colons de Catane, en allant à la librairie, un
Amélie Nothomb, ou encore, en se promenant dans une salle d’arcade rétro, un
Pac-Man ou un
Space Invaders.
La tendance s’inverse quand la presse spécialisée et le grand public commencent à utiliser le terme de
console de manière courante pour désigner ces boîtiers qui accueillent des cartouches et trônent désormais à côté des postes de télévision dans de nombreux foyers. Par ellipse, on dira ainsi « Je joue à la Game Boy », sous-entendu « Je joue à la console Game Boy ». C’est le cas du célèbre magazine
Tilt qui change sa nomenclature au tournant des années 90, suivi de près par les magasins spécialisés comme
Micromania qui font de même dans la foulée.
Aujourd’hui, dans la francophonie européenne, tout le monde ou presque parle de « la » Game Boy, comme le rappelle Florent Gorges dans sa vidéo. Il cite notamment un sondage qui date de 2013 publié sur le site
Gameblog, où 82 % des 2 131 personnes interrogées déclarent dire « une » Game Boy, contre 11 % pour sa contrepartie masculine. Au Québec, l’adoption du mot
console n’arrivera que bien plus tard, dans les années 2000 à en croire cet article du
Monde. C’est pourquoi outre-Atlantique, le masculin est toujours d’usage. »
https://www.ouest-france.fr/gaming/faut-il-dire-le-ou-la-game-boy-il-n-y-a-plus-vraiment-de-debat-f8b65946-acf3-11eb-8e8b-541ad7498b05« Pourquoi donc parler d’une console au masculin ? Ce qui passerait aujourd’hui pour une fantaisie — personne ne dit
le PlayStation 4 ou
le Switch — s’inscrit en fait dans une vieille tradition oubliée.
Du début des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980, à une époque où le terme « jeu vidéo » définissait de manière très large tout ce qui affichait des bips-bips électroniques sans distinction entre machines à sous, consoles et cartouches, il s’agissait de l’usage le plus répandu, y compris en France. En 1979, la société américaine
Midway importait ainsi chez nous «
le Space Invaders », comme les publicités professionnelles l’appelaient. Sous-entendu : un jeu, de la même façon que l’on vendrait un
Monopoly ou un
Cluedo.
En France toutefois, le terme féminin « console » se détourne au cours des années 1980 de son sens mobilier originel pour désigner plus spécifiquement les machines à cartouches interchangeables. Il donne même son nom au premier magazine de jeux vidéo spécialisé dans ce type de machines, par opposition aux ordinateurs et aux bornes d’arcade :
Consoles +, en 1991. Chaque appareil est dès lors féminisé (
la Super Nintendo,
la Mega Drive, etc.) — coutume que suit encore la rubrique du
Monde "Pixels" aujourd’hui — et dans ce paysage français, à sa sortie, la portable de Nintendo fait déjà figure d’exception.
Une certaine gêne affleure ainsi à l’époque chez les partenaires commerciaux du constructeur japonais. En 1991, sur une double page consacrée à ses machines portables, le revendeur
Micromania liste ainsi «
la Game Gear », «
la Lynx », mais… «
la console Game Boy », au long, plutôt que «
le Game Boy », comme pour éviter de froisser le constructeur sans heurter le bon sens des joueurs.
Paris aurait pu lancer un grand mouvement international de féminisation des Game Boy. Mais au Canada, par exemple, le terme « console » s’est seulement démocratisé au début des années 2000.
C’est ce que raconte la développeuse indépendante québécoise Alex Zandra Van Chastein dans une tribune sur le sexe des consoles, parue sur
Vice en février :
« Quand un nouvel objet apparaît, il faut lui attribuer un genre. Le genre par défaut étant le masculin, j’ai grandi en jouant sur
“un” Nintendo,
“le” Mega Drive,
“le” Super Nintendo. Mais pendant ce temps, quelque chose s’est passé. Ces objets n’étaient plus uniques, il y avait maintenant un mot pour le genre de chose qu’ils étaient : des consoles de jeux vidéo. Et en français, “console” est féminin. Ainsi, il y eut un grand changement de sexe grammatical : je me suis retrouvée à jouer à
“la” PlayStation,
“la” Dreamcast,
“la” Xbox, etc. » »
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/03/26/faut-il-dire-le-ou-la-game-boy_5101002_4408996.html