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Auteur Sujet: Comment écrire à propos de la musique?  (Lu 449 fois)

exademine

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Comment écrire à propos de la musique?
« le: mai 04, 2024, 05:42:58 pm »
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Je ne sais pas comment parler de musique.

Kali Malone - Living Torch II. Je ne savais pas qu'elle existait avant de voir son plus récent album que je n'ai pas encouté encore. En fait son existence m'importe peu si ce n'est qu'elle est un pré-requis à l'existence de sa musique.

Je suis pas mal dans le camp de la mort de l'auteur. Ce que l'auteur avait en tête dans la production d'une oeuvre n'a aucun intérêt pour moi et pourrait même contribuer négativement à mon appréciation. Le lien principal qui me lie avec des auteurs est qu'en général ceux que j'aime produisent des choses que j'aime.

Comment écrire à propos de la musique? À propos de la musique musique: les ondes sonores captées par le tympan dont le traitement par le cerveau et les sensations résultantes.

Je peux parler de la propriété des ondes: le rythme, le timbre, la texture du son. C'est une déconstruction incomplète, si ce n'est que par la limitation intrinsèque de la modélisation. La carte n'est pas le territoire; la modélisation du son n'est pas le son.

Je peux trouver des points communs entre des affaires que j'aime beaucoup tout comme je peux trouver des affaires qui ont tous ces points et que je suis incapable d'écouter. La modélisation est insuffisante.

C'est la même chose avec la poésie. Quatre-vingt dix-neuf poèmes sur cent m'apportent autant que lire une boite de céréale. L'autre pourcent m'ouvre à une réalité inconnue et la merveille du monde.

Et même si la modélisation était parfaite, la modélisation du son qui serait le son parfaitement n'est jamais traitée par le même cerveau. Cette subjectivité est la raison pourquoi lire des critiques de musique est très peu utile si le but est de savoir si on va l'apprécier. Et l'idée même de lire des critiques revient au problème de la mort de l'auteur, je n'ai pas besoin de quelqu'un pour me dire ce que quelque chose veut dire pour moi.

Tout ce qui reste d'intéressant alors est de parler de notre expérience. Ça devient rapidement intime. Parler de ce que provoque l'analyse de la musique par notre cerveau révèle son fonctionnement intérieur, ses mémoires accumulées. Est-ce que ce qui rend la musique intéressante serait le vécu derrière celui qui la subit et pas la musique elle-même?

J'essaie de comprendre ce qui me touche dans la musique qui me touche.

Le cerveau est une machine à reconnaitre des séquences. La musique est un ensemble de différentes séquences à différents niveaux.

L'anticipation résolue, reconnaitre quelque chose dans le rien, ça explique une partie.
Certaines séquences musicales sont un signet direct à un souvenir, ça explique une autre partie.

Mais pourquoi la reconnaissance de certaines choses est plus captivante que d'autres?

Il y a des fréquences, des timbres que je pourrais écouter pendant des heures. La petite séquence à plat de 10 secondes au début du thème de Monkey Island 2 sur Amiga. Je peux l'écouter en répétition pendant des heures comme un moine bouddiste ou un chanteur gallican qui produit la même note pendant des heures.

À la fois comme si la partie de mon cerveau cherchant les séquences dans la musique avait été entrainée avec la sonorité particulière de la puce de son du Amiga mais aussi comme si une partie de mon processus cognitif est tellement accaparée par le traitement du son qu'elle ne peut influencer le reste, affectant mon expérience du réel.

Une forme de nerd sniping où le problème à résoudre est une vibration mécanique particulière de l'air.

La musique est une sorte de méditation guidée. Des données sonores dirigeant l'état mental. Certaines musiques sont capable de contourner le processus cognitif régulier et d'exécuter des instructions directement dans ma conscience.

Living Torch II possède cette capacité.
Est-ce les longues séquences répétitives puissantes?
La propriété sonore de l'orgue?
La complainte irrégulière du trombone?
Est-ce l'incapacité de comprendre?
Je ne sais pas. Je ne sais pas comment savoir plus que ce que j'ai dit jusqu'à maintenant. Je suis la propriété émergente d'un sac de viande qui essaie de reconnaitre des affaires. (merci à Charlemagne d'avoir introduit sac de viande dans mon vocabulaire)

Je l'ai écouté des heures d'affilées pendant plusieurs jours. J'étais épuisé dans le bon sens après chaque session. Le travail créatif y est efficace. Un peu comme la théorie du Flow mais pas exactement. Parfois c'est un puissant état contemplatif où je pense être conscient de l'engrenage accéléré de mon inconscient.

Est-ce qu'écrire à propos de son expérience avec la musique est aussi futile qu'essayer de faire comprendre à quelqu'un une oeuvre littéraire avec un simple texte? Si l'oeuvre pouvait être un court texte, l'auteur aurait produit ce texte. La propriété fondamentale d'un qualia est son irréductibilité.

Non, écrire à propos de son expérience avec la musique n'est pas futile. Bien, si l'intention est de réduire l'oeuvre au résumé oui c'est futile. L'intention doit être de donner envie à quelqu'un d'essayer l'oeuvre et de communiquer son expérience par la suite aussi.

Tout ce dont je peux essayer de commencer à être certain est à ma propre expérience subjective du réel. Tout ce que je veux faire avec est de toucher quelqu'un d'autre. Comme deux mains qui touchent un panneau de verre d'un côté différent, imaginant la sensation de l'autre.

Je ne sais pas comment parler véritablement de musique.
Je ne sais pas comment parler véritablement de rien.

Plume

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Comment écrire à propos de la musique?
« Réponse #1 le: mai 04, 2024, 11:54:24 pm »
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Personnellement, je ne pense pas que la musique soit synonyme de « rien », mais encore faut-il que nous nous entendions sur le sens que nous donnons présentement au terme « rien ». (Il pourrait d'ailleurs être intéressant de parler de « rien », à moins que nous le fassions déjà…) En outre, je trouve que la musique est intéressante à plusieurs égards : ce qu’elle est, ce qu’elle fait, etc.


Les liens entre « musique » et « émotion » (la musique est-elle expressive, etc. ?) ont fait l’objet de plusieurs théories, études, etc. :

https://www.unige.ch/lettres/philo/application/files/8516/4984/4052/Memoire_Philo_AKomiyama_derniere_version.pdf

https://hal.univ-lorraine.fr/tel-01752800v1/document

 https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2022-2-page-71.htm?ref=doi

https://www.symphozik.info/la-musique-a-t-elle-un-sens,220,dossier.html

https://www.symphozik.info/l-expression-musicale-des-emotions,657,dossier.html




Mais cela m’a surtout rappelé le sujet de la dernière fois, relatif à ce qui est réel, etc. Et cela m’a donc notamment fait penser à un ouvrage de Clément Rosset, qui s’intitule L’Invisible. Dans ce livre, Clément Rosset évoque notamment la musique.

« Pour illustrer l’existence de l’invisible, Clément Rosset prend l’exemple de la musique. Selon lui, la musique nous permet de « reconnaître » un sentiment et non pas de le « connaître ». Autrement dit, ce n’est pas la musique en tant que telle qui nous permet de ressentir une émotion à son écoute, mais c’est la projection mentale que nous permet l’écoute d’une musique qui nous fait ressentir une émotion. En effet, à l’écoute d’une mélodie, nous « reconnaissons » un sentiment ou une émotion que nous avons déjà ressenti(e) dans le passé. Les émotions que l’on peut ressentir à l’écoute d’une musique ne sont pas déclenchées par la musique en elle-même, car nous associons de façon automatique la musique à une expérience déjà vécue. La musique serait dès lors une véritable Madeleine de Proust pour tout individu ayant un passé. De fait, la musique est un biais qui nous « fait ressentir ». Ainsi, pour Clément Rosset, la musique n’a pas d’essence propre. Aucune émotion n’est essentiellement rattachée à une mélodie donnée. Tout n’est que perception de cette mélodie. C’est pourquoi une même mélodie peut évoquer ou déclencher des souvenirs, des émotions, des idées ou encore des scénarios très différents selon la personne qui l’écoute. »

Personnellement, je pense que la musique ne peut pas réellement ressentir de la joie ou de la tristesse, et donc exprimer son hypothétique joie ou tristesse. En revanche, je peux la percevoir comme plus ou moins expressive, même si les émotions en question ne sont pas les siennes. Du reste, je crois que la musique m’a déjà fait vivre des expériences émotionnelles que je n’avais jamais vécues auparavant (ou alors dans une autre vie) … C'est d'ailleurs peut-être l'une des raisons pour lesquelles je l'aime autant...

La conclusion du premier mouvement d’une symphonie de Dvorak (symphonie en fa majeur, assez rarement jouée) illustre bien cette sorte de mutisme, de « silence musical » ou de « musique qui se tait » comme dirait Federico Mompou (Musica callada). Dvorak a développé cet allegro initial autour d’un thème simplissime qui apparaît dès la première mesure de l’œuvre et consiste en une broderie en arpège du deuxième renversement de l’accord parfait de fa majeur : do fa ; do la do fa la fa. Il conclut son premier mouvement par ce même thème énoncé paisiblement en solo, sans le moindre soutien harmonique hormis la tenue de l’accord de fa majeur, aussitôt suivi d’un point final (c’est-à-dire sans la succession d’accords qui annoncent généralement, dans la symphonie romantique, la fin du morceau par une péroraison académique, parfois interminable et pompière). Cette fin peut prendre l’auditeur de court, comme surprirent en leur temps les fins abruptes de Ravel, bientôt suivi par les compositeurs qui héritèrent de lui l’art de savoir interrompre. – Quoi, c’est déjà fini ? – Oui, c’est fini, j’ai dit tout ce que je voulais dire. – Mais que vouliez-vous dire au juste ? – Eh bien, précisément cela : do fa ; do la do fa la fa. Le poumon, vous dis-je.

« Modifié: mai 05, 2024, 12:22:05 am par Plume »
« Si la musique nous est si chère, c'est qu'elle est la parole la plus profonde de l'âme, le cri harmonieux de sa joie et de sa douleur. » (Romain Rolland)

Berslak

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Comment écrire à propos de la musique?
« Réponse #2 le: mai 05, 2024, 11:14:58 am »
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Je suis ici seulement pour m'exprimer un peu et non pour discuter activement sur plusieurs messages. Merci de respecter mon désir de m'exprimer à petites doses.

MadChuck

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Comment écrire à propos de la musique?
« Réponse #3 le: mai 05, 2024, 01:31:28 pm »
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Cette subjectivité est la raison pourquoi lire des critiques de musique est très peu utile si le but est de savoir si on va l'apprécier.

Aussi dans les années 2000, simplement écouter une chanson est plus rapide et facile que d'en lire la critique, j'imagine que le but des critiques est rarement la recommandation (les curateurs, reviewers, faiseur de listes), ça doit être beaucoup un travail de placer l'oeuvre dans le travail total de l'artiste, ses contemporains et essayer de trouver des angles pour le lecteur de l'apprécier plus ensuite.

Plume

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« Si la musique nous est si chère, c'est qu'elle est la parole la plus profonde de l'âme, le cri harmonieux de sa joie et de sa douleur. » (Romain Rolland)