Dimanche 30 juin, dans les heures qui suivent les résultats du premier tour. Le téléphone de Sébastien Meurant, candidat dans la 4e circonscription du Val-d’Oise, se met à vibrer. Au bout du fil, la députée sortante Naïma Moutchou. Les chiffres viennent de tomber, et ils ne sont pas bons pour la candidate Horizons. Cette proche d’Edouard Philippe se classe deuxième, avec 27,9 %, loin derrière Karine Lacouture, la candidate « insoumise » du Nouveau Front populaire (NFP), qui obtient 34,6 % des voix. Sous étiquette Les Républicains-Rassemblement national (LR-RN), Sébastien Meurant et ses 26,2 % deviennent objet de convoitise. « A votre avis, pourquoi elle m’a appelé ?, s’amuse ce dernier. Elle m’a expliqué que si l’on se maintenait tous les deux au second tour, nous faisions élire La France insoumise. »
Il écoute son interlocutrice, dont il interprète l’appel comme une demande de désistement pour faire barrage au NFP. Les deux concurrents partagent peu ou prou la même analyse. Pour Mme Moutchou, la coalition des gauches « abîme notre cohésion nationale », écrit-elle dans un communiqué. Pour M. Meurant, elle est « l’attelage de l’islamo-gauchisme et du “wokisme” qui veut détruire notre nation. » Mardi 2 juillet, peu avant la date de fin du dépôt des candidatures, il annonce finalement se désister « face au danger grave que représente la possible élection d’une candidate LFI » et appelle à voter Naïma Moutchou.
Sollicitée par Le Monde, cette dernière n’a pas donné suite. « Que ce soit clair, il n’y a jamais eu d’accord ou de compromission avec qui que ce soit », jure-t-elle, le même jour, dans un message posté sur X. Car le désistement de M. Meurant, conjugué à son soutien, fait tache. Sénateur de 2017 à 2023, il est l’un des rares LR à rejoindre Eric Zemmour lors de l’élection présidentielle de 2022. Relais au Sénat de la mouvance catholique conservatrice, il s’est opposé à la constitutionnalisation de l’IVG, en février 2023, ainsi qu’à l’extension de la PMA aux couples de lesbiennes, en 2018, qu’il qualifie de « rupture anthropologique ».
Combien sont-ils parmi les candidats de la majorité sortante à avoir sondé leurs concurrents d’extrême droite pour les inciter à se désister afin de « faire barrage » au NFP ? Peu après que les résultats du premier tour sont connus, dimanche 30 juin, le député sortant Renaissance Robin Reda le reconnaît : il a composé le numéro de son collègue à l’Assemblée nationale, le député RN sortant de la Somme, Jean-Philippe Tanguy. La configuration est critique dans sa circonscription de l’Essonne, où M. Reda compte plus de 10 points de retard sur sa concurrente insoumise du NFP, qui obtient 40,8 % des voix contre 30 % pour le candidat de la coalition présidentielle.
Les 25 % obtenus par la représentante du RN, Audrey Guibert, constituent sa seule réserve de voix, avec les abstentionnistes. Mais les consignes de Marine Le Pen sont claires, précise son interlocuteur : il n’y aura aucun désistement en faveur de candidats issus de la majorité sortante, renvoyés dos à dos avec ceux du NFP. Et qu’importe que MM. Reda et Tanguy, qui se connaissent depuis Sciences Po ou la khâgne – les versions varient selon les deux hommes – aient développé une certaine complicité pendant la dernière mandature.
Pour le second tour, Robin Reda est donc « à fond sur le barrage à LFI » et s’adresse aux électeurs du RN, pour lesquels il n’a « pas de mépris, loin de là ». « Ils sont arrimés à un projet qui n’est pas le mien, mais ils peuvent s’opposer à un projet qui est encore plus loin du leur et éviter de faire élire une agente de Mélenchon dans la circonscription », plaide-t-il. Mais l’ancien plus jeune maire de France sous pavillon UMP à Juvisy-sur-Orge (Essonne), de 2014 à 2017, doit affronter « des vents contraires ». En l’occurrence les déclarations de Gabriel Attal, qui, le 3 juillet, a appelé, sur France Inter, à faire barrage au RN, même avec un bulletin LFI. « Ça, c’est le discours de ceux qui n’ont pas à affronter les “insoumis”, déplore-t-il. Cela dessert mon positionnement et la cohérence de notre ligne, qui consiste à dire que LFI est autant un danger pour la République que le RN. »
Dans la 7e circonscription des Yvelines, l’ancienne ministre déléguée chargée de la ville et animatrice de l’autoproclamée « aile gauche » de Renaissance, Nadia Hai, le promet : elle n’était « pas du tout » au courant des démarches entreprises par Matignon pour sonder son adversaire LR-RN, la cheffe cuisinière et ex-chroniqueuse télé, Babette de Rozières. Dès dimanche soir, le conseiller spécial du premier ministre, Maxime Cordier, envoie un SMS à la ciotto-lepéniste pour lui demander ce qu’elle « compte faire sur sa circo », selon une information de L’Express. Plus tôt, elle avait déjà reçu un coup de fil de Thierry Solère, un des conseillers officieux d’Emmanuel Macron, qui lui aurait demandé ce qu’elle souhaitait en échange de son désistement. M. Solère dément la proposition, mais convient qu’il lui a expliqué qu’elle ne pourrait plus siéger au sein du « bloc central » à la région Ile-de-France, où elle est élue, si elle maintenait sa candidature.
Toujours dans les Yvelines, Laurent Mazaury (UDI) n’a pas eu besoin d’en passer par là. Il a constaté que la représentante fantôme du RN, sa seule réserve de voix dans la 11e circonscription, n’avait pas déposé sa candidature pour le second tour. « On est très heureux, car ça nous remet dans une position favorable, et l’on est très content d’accueillir les électeurs perdus du RN qui voudraient se réorienter vers nous », explique celui qui écrit, sur X, qu’« aucune voix ne doit manquer pour faire barrage à l’extrémisme de LFI ».
Dans les Hauts-de-Seine, Maud Bregeon bat campagne sur le même mot d’ordre : « Rassemblons-nous pour faire barrage à l’extrême gauche, qui nuirait à nos intérêts et à l’avenir de nos communes. » Elle fait pourtant face à un candidat investi par le Parti socialiste, Brice Gaillard, peu suspect d’accointances radicales. Là aussi, les 14,7 % obtenus par le candidat d’extrême droite Patrick Yvars, ajoutés aux 5,5 % de LR, peuvent faciliter l’élection de Mme Bregeon, qui, avec ses 39,2 %, bénéficie d’une petite avance sur son adversaire (37,8 %).
Dans le Val-de-Marne, Sylvain Berrios, candidat LR soutenu par Edouard Philippe et par le député sortant Renaissance Frédéric Descrozaille, va plus loin. Dans son tract du second tour, il interpelle spécifiquement les électeurs du RN, qui pèsent pour 18,4 % des voix. « Nos choix sont différents, leur écrit-il. Pour autant, nous ne pouvons pas laisser notre circonscription et notre pays à La France insoumise, à ses relents antisémites, au chaos permanent et au laxisme assumé. » Avec 27,8 %, M. Berrios doit rattraper Lyes Louffok (33 %), défenseur reconnu des enfants placés dans un foyer.
Mais nul besoin d’affronter un candidat du Nouveau Front populaire dans sa circonscription pour appeler au contre-barrage. A Paris, la députée sortante Astrid Panosyan-Bouvet a bénéficié du retrait de la candidate NFP dans son duel avec le maire LR du 17e arrondissement, Geoffroy Boulard. Ce qui ne l’empêche pas de prendre une « position légèrement différente du reste de la majorité » en s’opposant à la consigne de faire barrage au RN, quitte à voter pour un NFP-LFI. Pour sa dernière réunion publique de campagne, jeudi, Mme Panosyan-Bouvet recevait l’éditorialiste Raphaël Enthoven, qui, en juin 2021, avait déclaré qu’il préférait voter Marine Le Pen plutôt que Jean-Luc Mélenchon.