Ce que ces photos illustrent, d'abord, c'est l'instrumentalisation du corps féminin et masculin pour vendre des vêtements, pour vendre un style. Les sujets de ces photos ne sont pas des humains : ce sont des mannequins, des corps habillés. Ils n'ont pas d'humanité dans la mise en scène captée sur le vif : ce sont des objets. En cela, ils permettent une distanciation entre ce qu'ils représentent et leur public, c'est-à-dire nous autres. C'est cela précisément qui autorise votre prise de position : je n'adhère pas à la réalité peinte par ces photos parce que ce sont des photos, des simulacres, des illusions. De plus, je ne constitue pas le public de ces photos, car je ne suis pas quelqu'un qui consomme ce qui est vendu par ces photos, soit des vêtements de luxe. Ce faisant, vous vous placez à l'extérieur du débat : vous opposez à leur spectacle dégradant une fin de non-recevoir en réutilisant les mécanismes économiques qui ont mené à leur création. Vous refusez de jouer le rôle que vous assigne ces publicités parce qu'il ne coincide pas avec le vôtre, qui n'est que la somme de ce que vous considérez être sur vos cartes d'identité, sur vos cartes de crédit, sur votre relevé d'impôt. Le discussion n'a pas lieu parce qu'elle n'a pas de lieu pour se tenir : vous y échappez. Et l'horreur se poursuit, parce qu'elle ne concerne personne.
Mais voilà : c'est exactement ce que plusieurs font depuis le début de ce sujet sur la culture du viol : éviter la discussion de fond en se cherchant des alibis pour que la discussion ne se tienne pas. Vous remettez en question la juxtaposition des mots "culture", "de" et "viol" sans aborder de front ce à quoi ce syntagme renvoie. Vous émettez des opinions fondées sur des anecdotes, vous relayez des impressions qui endossent à peu près exactement ce qui est dénoncé sans vraiment les remettre en question. Bref, vous faites des histoires. On noie alors la culture dans l'empirique, le système dans l'opinion. On rejoue au final la comédie antédiluvienne des frustrées et des magnanimes ; c'est si confortable pour les magnanimes parce que reconnaitre le bien-fondé de la révolte des premières transformeraient inévitablement les deuxièmes en sales exploiteurs. Ce qui est bien inconvenant pour ces messieurs, reconnaissons-le. L'essentiel du débat sur la culture du viol tient à maintenir l'inexistence du débat, ce qui confirme l'inexistence de son objet. Qui existe, pourtant. Les photos le prouvent bien, et de manière spectaculaire.