Avertissement : pavé - résumé à la fin.
Je crois sérieusement que l'argumentation économique est un piège rhétorique qui nous éloigne du débat réel. Avec cette grève, la question n'est pas tant : est-ce que nous avons collectivement les moyens de payer pour les revendications étudiantes ? mais plutôt : en tant que société, sommes-nous prêts à endosser le mode de pensée d'un gouvernement qui refile la facture de ses services aux utilisateurs de ces services ? Parce que les chiffres, c'est comme des paraboles dans la Bible : le flou de leur signification réelle permet un espace d'interprétation suffisant pour les apprêter selon sa cause.
Je crois que la question centrale de ce débat, c'est la définition de "responsabilité". Que signifie être "socialement responsable" ? Certains disent que cela réside dans la "juste-part", d'autres dans le fait de s'accorder collectivement les moyens de former à le moins de frais possibles une élite qui, d'une façon ou d'une autre, améliorera le système dont ils sont issus. Maintenant, ce qui relie les deux facettes de cette définition de responsabilité, c'est la place qu'elle accorde au "sacrifice" : le sacrifice de la juste part, elle est le fait de celui qui utilise le système. Ce sacrifice est juste, puisqu'il ne concerne que celui qui décide d'utiliser le service. En effet, personne ne veut payer des bonbons à un inconnu pour qu'il les mange. C'est illogique. On prend ce mode de pensée et on l'applique à la formation universitaire : pourquoi moi, en tant que contribuable, je payerais pour quelque chose qui ne me concerne en rien ? Les dérives de cette réflexion sont prévisibles : désinvestissement social, difficulté à former un projet collectif, bref, désengagement.
Pour plusieurs, les cyniques de banlieue, ces dérives-là n'en sont pas vraiment, puisqu'elles ne font que montrer sous son vrai jour les rapports de force qui sont supposés être atténués par les institutions collectives. Pour eux, le remplacement du consensus démocratique par les lois du marché est une bonne chose, puisque le marché est une instance autorégulée : il ne reçoit sa légitimité que de lui-même. Quelqu'un qui se trouve en position de force dans ces circonstances n'a pas besoin de s'excuser ou de se justifier : sa position privilégiée dans la société est aussi naturelle que le phénomène qui lui a permis d'y accéder. Et c'est dans la nature de ces choses de chercher à consolider ses privilèges : le contrôle de l'accès à l'université participe de cette concentration du pouvoir. Que ceux qui peuvent payer y aillent, que les autres se satisfassent de l'allégement fiscal : ils jouiront d'un meilleur pouvoir d'achat. De ce point de vue, tout le monde gagne. Le problème, à mon sens, de ce discours, c'est que c'est un discours de possédants : outre le fait qu'il mise sur des truismes (marché est naturellement juste, angélisme bourgeois, le bonheur est proportionnel au pouvoir d'achat...), il bénéficie d'une bien meilleure diffusion dans les médias, puisque ces médias appartiennent justement à des gens qui bénéficient de ce mode de pensée.
De l'autre côté, la responsabilité est endossée par la collectivité : tous doivent s'appauvrir pour permettre à pas tout le monde d’aller à l’université. Tous doivent sacrifier un peu de son pouvoir d’achat pour permettre au plus grand nombre d’aller à l’université. Tout le monde est perdant, sauf les gens qui vont à l’université : de ce point de vue, les étudiants sont des profiteurs. Cependant, on ne tient pas compte du portrait global : une société avec plus d’étudiants universitaires est une meilleure société. Parce que ceux-ci redonnent plus à la société que les autres. Et par là, je ne parle même pas du cash.
La question est loin d’être illégitime : en quoi une société avec plus de diplômés dans des disciplines molles est-elle meilleure qu’une société avec moins de diplômés ? Parce que cette société détient un meilleur potentiel de renouvellement, une meilleure capacité à s’adapter aux changements du marché : elle n’est pas laissée à elle-même dans la jungle de la mondialisation. Sa compétitivité est assurée par sa capacité d’imagination, par son dynamisme intellectuel. Un type en littérature ne créera certainement pas autant de richesse qu’un propriétaire d’usine, mais sa culture lui permettra de se positionner de manière plus convaincante dans le débat public : sa vision du monde sera mieux définie, il aura une meilleure compréhension des enjeux de son époque. Même chose pour le sociologue, pour l’anthropologue, pour le politicologue, pour le philosophe, pour l’historien. Ces diplômés créent une « richesse » pour une société qui n’est pas monnayable : un état de disponibilité d’esprit, d’ouverture, une curiosité pour les choses du monde, une disposition pour la participation à la définition de ce qu’est notre société.
Je le réitère : dans une société culturellement distincte comme la nôtre, on n’a pas les moyens de se soumettre au diktat du marché mondialisé sans perdre une part de cette distinction au change. Si on tient à notre identité, on ne peut pas faire comme les autres provinces, on ne peut pas faire comme le voisin : nous devons travailler à notre indépendance d’esprit : celle-ci passe par une population éduquée. Et pour moi, c’est là que réside la réelle responsabilité : celle qu’on a envers les générations futures.
EN RÉSUMÉ :
-Débattre question de la hausse par économie = inutile, on peut faire dire n'importe quoi aux chiffres
-Hausse = bad = discours de possédants qui se justifie lui-même : contribue à l'appauvrissement de la société comme collectivité.
-Pas Hausse = good = tout le monde s'appauvrit un peu, mais la société est meilleure puisqu'elle produit des gens qui peuvent l'améliorer.