Aussi, le problème avec l'indépendance, c'est qu'on la pense dans les paramètres de la situation de sujétion au fédéral. On le pense en fonction de l'argent que nous donne le fédéral. Dans cette situation, on compte les sous des transferts qu'on met dans le rouge en perte sèche advenant la séparation. Nécessairement, le Québec est perdant. Avec l'argent du fédéral, il est une province pauvre dans un pays riche. Sans l'argent du fédéral, il est un pays pauvre.
Or, y'a rien de pire que l'appauvrissement pour un citoyen habitué à la richesse et aux infrastructures d'un pays riche. Ça, c'est sans compter l'éventuelle délocalisation d'entreprises et de capitaux anglophones au profit du Canada, ainsi que l'exode massif des citoyens anglophones et allophones vers les autres provinces de la fédération. Pis ça, c'est sans compter les enjeux militaires : il faudra bien se créer une armée, ce qui signifie acquisition de coûteux matériel...
Mais le problème est là : on n'a aucune idée de ce que serait le Québec "SANS" le Canada. Aucune. Un pays qu'on pourrait façonner nous-mêmes. On ne le sait pas parce qu'on a toujours été dépendants de l'argent. Notre imagination politique est limitée par une relation de dépendance. C'est pour ça que les vélléités de séparation achoppent : nous sommes incapables d'envisager la liberté parce qu'on ne l'a jamais vraiment vécue. On l'a rêvée pas mal, ça c'est sûr : ce n'est pas pour rien que la plupart des chantres de l'indépendance sont des pelleteux de nuages, des poètes, des intellectuels, des gens comme moi, des gens qui n'ont pas les mains sales, en très forte majorité issus de la petite bourgeoisie aisée, donc suspects par définition.
Pour les autres, la seule forme de liberté concrète qui s'approche d'une liberté politique, du pouvoir d'autodétermination, c'est celle que procure l'argent, le confort matériel. C'est à partir d'elle que s'échafaude notre conception de la liberté, jusqu'à ce que moyens financiers et liberté coincident. L'argent amène la liberté en permettant de s'affranchir de la nécessité, de la misère. La seule liberté qui compte, c'est celle de pouvoir accumuler de l'argent et de pouvoir la dépenser comme bon nous semble. Dans ce binôme, l'abolition d'un des deux termes entraîne celui de l'autre. Sans liberté, l'argent ne sert à rien ; sans argent, la liberté n'a aucun sens.
Vous voyez le problème quand on ajoute la donne politique ? Elle n'a pas sa place dans l'équation. Elle est absorbée par l'équation. Elle devient comme de l'huile : le but de le politique, désormais, c'est de huiler la relation entre la liberté et l'argent. La politique, selon cette logique, n'est plus un instrument d'émancipation : on ne peut pas être libre à travers elle. C'est une politique d'esclave. La sujétion de la liberté à l'argent devient la sujétion de la politique à la liberté comprise à travers le prisme de l'argent.
Bref, la pauvreté économique s'inscrit dans une pauvreté conceptuelle. Pour créer de la richesse, n'importe quel homme d'affaires vous le dira, il faut de la richesse, c'est-à-dire une mise de fond initiale, des actifs suffisants, des moyens de production. Or, notre pauvreté tout azimut nous empêche d'accéder collectivement à la richesse. Nous sommes prisonniers de l'étroitesse de nos conceptions de l'argent, de la liberté et de la politique, qui ne fait que reproduire sa propre pauvreté dans la totalité sociale, qui a marqué notre histoire, sauf pendant à peu près 20 ans.
Quand est-ce que dans l'histoire du Québec a pu être considéré comme riche ? La Révolution tranquille, qui a d'abord été marquée par un changement paradigmatique, par la confiance nouvelle en nos propres moyens. Puis, avec les défaites référendaires, l'obscurantisme économique a succédé à l'obscurantisme religieux. On est retournés à la survivance. C'est pas le peuple qui peut quelque chose, ce sont ses élites, ceux qui se sont affranchis de cette survivance. D'où l'engouement qu'entraine la candidature de PKP, un "gagnant" dont le chemin vers la richesse est pavé par le cadavre de la liberté d'expression et des carrières que son antisyndicalisme a brisées. Un héros de son temps.
Pour régler la pauvreté du Québec, il faudrait le plein-emploi, la venue de capitaux étrangers, l'exploitation intensive de nos ressources naturelles. Bref, il faudrait devenir l'Alberta. Ça s'en vient : Marois fait de la politique comme Harper, puis elle prospecte pour le pétrole. Il ne reste plus qu'à parler anglais. Alors, notre indépendance sera complète, sauf qu'elle n'aura plus aucun sens. Heureusement, la légalisation de la marijuana, de l'euthanasie et la SAQ viendront à la rescousse pour endormir notre douleur.