Dans un tel rapport de force, c'est une guerre d'attrition pour l'opinion publique. Qui cèdera en premier ? Les étudiants ou le gouvernement ? Le gouvernement provoque les étudiants dans le but de les pousser à la révolte, pour ensuite pouvoir les museler comme des criminels.
Bien entendu, de ce point de vue, les étudiants partent avec 2 prises contre eux parce qu'ils ont perdu la bataille de l'image : pour monsieur et madame toutlemonde, ce sont des parasites, des gosses de riche, des irresponsables. Au Québec, le mythe de l'étudiant est tenace, et, au risque d'utiliser un lieu commun, une société minoritaire voit toujours d'un mauvais oeil la promotion sociale : que celui qui désire s'élever, i.e., trahir ses origines modestes, paye ! Notre représentation de la réussite ne sort pas de la reproduction sociale : on n'est légitimement riche que si l'on vient d'un milieu riche. Et, au Québec, l'école est indissociable de la promotion sociale : si l'on va "longtemps à l'école", c'est pour "avoir une bonne job". Ces mythes sont profondément ancrés dans notre imaginaire collectif : il faut pédaler fort pour essayer de démonter ces croyances tenaces.
Dans une société où les élections se jouent sur des slogans au lieu des visions du monde, ces mythologies remplacent efficacement les débats de fond, puisqu'elles provoquent une adhésion instinctive. Cette grève ne nous concerne pas, se dit le lecteur du Journal de Montréal : pourquoi ces astis de privilégiés viennent-ils troubler la paix ? Calisse de paquets de troubles ! Jamais contents ! L'Étudiant est un agitateur : il est nécessairement dans son tort parce qu'il "fout la marde". Il "cherche la guerre". L'envers de cette attitude, c'est la soumission : c'est la vie, on ne peut rien y changer.
Mais pourtant, l'insoumission étudiante me semble salutaire, dans la mesure où elle témoigne de leur énergie. Cette énergie est essentielle pour une société "saine", c'est-à-dire qui est capable de penser en dehors d'elle-même. Je le rappelle : nous sommes dans une réalité (appelons-là postmoderne) qui de plus en plus devient abstraite : les travaux manuels, dans les secteurs primaire et secondaire (surtout secondaire), disparaissent peu à peu. Quelle sera la compétitivité du Québec si la province ne se donne pas les moyens de former des gens qui sauront composer avec une telle réalité ? C'est pour cette raison que je ne peux pas concevoir que quelqu'un de nationaliste le moins du monde puisse adhérer aux manoeuvres du gouvernement dans ce dossier. C'est saboter son avenir, ni plus ni moins ! Ça témoigne, à mon sens, d'un grave manque de vision dont le Québec, si les étudiants abdiquent, ne se relèvera pas.