Ily a-t-il un lobby médical qui s'oppose à cette profession au Québec ?
Exactement.
Le lobby des médecins, très proche du parti au pouvoir (les libéraux provinciaux, dont le chef et Premier ministre est lui-même un médecin spécialiste) sont très agrippés à leurs prérogatives actuelles de médecins et cela entache toutes sortes de domaines. Ils s'opposent fortement à la reconnaissance des qualifications des médecins étrangers, refusent toute délégation d'une partie de leurs actes médicaux à des infirmières même de formation universitaire, à des pharmaciens (notamment le renouvellement de prescription pour des trucs chroniques comme l'asthme), à des «super-infirmières», super-formées mais qui peinent encore à trouver leur place dans le système, et, effectivement aux sage-femmes.
En réalité, ils font obstruction à toute tentative d'alléger le réseau de la santé et agissent carrément comme des parasites du système, et n'étant pas directement employés du gouvernement mais payé par lui via des contrats de service, ils n'ont pas de syndicats mais un ordre professionnel qui défend farouchement ses intérêts et un lobby puissant auprès des décideurs. L'actuel ministre de la santé, détesté par à peu près tout le réseau, est un ancien président de ce lobby.
Ce lobby a été super intense dès les années 60 et la création de notre système de santé public, au moment de la vaste sécularisation des institutions qui fait partie de la Révolution Tranquille. De l'aveux même de Claude Castonguay, le «père» du régime d'Assurance maladie publique au Québec, il s'agit de la plus grande erreur fait à cette époque, mais les médecins faisaient de l'obstruction, et le gouvernement a mis cette épineuse question à plus tard pour avancer dans ses réformes, pensant régler la question des médecins plus tard, ce qui n'a jamais été fait. Ils jouissent donc d'un rapport de force exceptionnel envers l'État et ils en profitent, disons, beaucoup.
Ainsi, ils ont réussi à rendre la profession de sage-femme interdite à partir du début des années 60. Comme toutes les révolutions, la nôtre, quoique tranquille, a un peu dépassé les bornes quelques fois. Ça me fait penser, en moins pire, à la révolution maoïste qui a interdit les pratiques ancestrales du yoga et du taï chi, considérées comme de vieilles reliques superstitieuses par le Parti Communiste de Chine, en cette nouvelle ère de la raison. On connaît la suite et le succès actuel phénoménal de ces pratiques, dont les bienfaits sont étudiés scientifiquement dans les grandes les universités du globe. La même chose est arrivé au Québec pour les sage-femmes.
Après deux générations de militantisme et d'un peu de pratique clandestine, la profession a finalement été légalisée en 1999 seulement, sous un gouvernement péquiste, et la même année, un ordre des Sage-Femmes a été créé ainsi qu'un cursus universitaire à l'Université du Québec à Trois-Rivière. C'était l'année où je sortais moi-même de l'école secondaire, alors je m'en souviens bien. J'ai des amies qui étaient intéressées, mais c'était contingenté.
C'est donc tout récent, et le Collège des médecins continue à faire du lobby, plus discret qu’auparavant, contre cette profession. Et évidemment, les mentalités prennent du temps à changer.
Je m'interroge sincèrement car je vous le dis je doute qu'il y ait la moindre once de débat chez nous sur la question. La question du pour ou contre l'intervention des sages femmes en france est aussi pertinente que la question du pour ou contre le rôle des kinésithérapeutes dqns le milieu de rééducation traumatologique ?
Autrement dit elle semble évidente hors je constate qu'il n'en est rien chez vous.
J'espère avoir répondu à quelques unes de tes interrogations.
À titre de mise en contexte sur le pouvoir hallucinant des médecins au Québec, surtout sur (et non "sous") les gouvernements libéraux:
http://www.journaldemontreal.com/2015/11/29/salaires-des-medecins-quebec-ne-peut-recuperer-les-800-millions-payes-en-trophttp://affaires.lapresse.ca/opinions/chroniques/francis-vailles/201601/19/01-4941306-les-medecins-mieux-payes-au-quebec-quen-ontario.phphttp://quebec.huffingtonpost.ca/2014/12/09/le-nombre-de-medecins-millionnaires-explose_n_6296044.htmlDe fait, ils organisent leur propre rareté, par la non-reconnaissance des acquis étrangers et des qualifications des autres professions, ils se réservent nombre d'actes médicaux, s'arrogent aussi des tâches de gestion et peuvent se constituer en entreprises pour obtenir des avantages fiscaux, etc.
La lutte anti-sage-femme n'a de sens que dans le contexte plus large où les médecins parasitent l'ensemble du système de santé et l'alourdissent par exprès (pour leurs intérêts propres) à la manière d'une mafia. Cette lutte est un élément parmi bien d'autres.