LA TUERIE DE MASSE AU BATACLAN ET LA PREMIÈRE RIPOSTE DES FORCES DE SÉCURITÉ (21H40-22H00)
Peu après 21h40, trois hommes armés de Kalachnikov pénètrent dans la salle de spectacle Le Bataclan située 50, boulevard Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris. […]
À 21h43, les premiers appels « police secours » parviennent à la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP).
À 21h49, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) reçoit un appel et engage des véhicules. Le service d’aide médicale urgente de Paris (SAMU 75) reçoit, quant à lui, un appel à 21h51. Le premier détachement des sapeurs-pompiers arrive sur place très rapidement, vers 21h50, et est immédiatement pris sous le feu des terroristes, à l’angle du boulevard Voltaire et du passage Saint-Pierre Amelot. […]
À 21h51, les policiers de la BAC de nuit du Val-de-Marne arrivent sur place. Ce sont les toutes premières unités à rejoindre la salle de spectacle. […]
Quelques minutes plus tard, aux alentours de 21h54, le commissaire divisionnaire X et son chauffeur, qui s’étaient détournés du Stade de France, arrivent devant le Bataclan. […] Dans les instants qui suivent, entre quinze et trente personnes sortent en courant par l’entrée principale pendant que les tirs continuent. Le commissaire divisionnaire X et son chauffeur pénètrent dans le Bataclan.
Les effectifs de la BAC de nuit du Val-de-Marne positionnés à l’angle du boulevard Voltaire et du passage Saint-Pierre Amelot sont, à quatre reprises, la cible de tirs de Kalachnikov depuis l’issue de secours du Bataclan. Plusieurs fois, ils ripostent au moyen de fusils à pompe. D’après les fonctionnaires de cette BAC que la commission d’enquête a entendus, les échanges de tirs s’écoulent sur une période de près de dix minutes. Après la deuxième ou la troisième rafale, les policiers sont rejoints par quatre militaires de l’opération Sentinelle. Le brigadier-chef T.P. de la BAC en question sollicite alors l’autorisation de les engager afin de pouvoir atteindre le terroriste embusqué derrière l’issue de secours. Devant la commission, il a expliqué avoir reçu pour réponse de la préfecture de police de Paris : « Négatif, vous n’engagez pas les militaires, on n’est pas en zone de guerre ». L’un des militaires lui aurait également indiqué qu’il ne pourrait engager le feu, faute d’avoir reçu un ordre en ce sens. De son côté, le maréchal des logis D., que la commission a également entendu, a indiqué que les militaires n’ont pu ouvrir le feu car ils ne disposaient « pas de visuel sur le terroriste lui-même » et a ajouté que, dans le cas contraire, ils auraient « évidemment fait en sorte de [le] neutraliser ».
Dans le même espace de temps, le commissaire divisionnaire X et son chauffeur progressent à l’intérieur de la salle, favorisés – sans le savoir – par le fait qu’un des terroristes a déjà gagné l’étage tandis qu’un autre est aux prises avec les effectifs de la BAC de nuit du Val-de-Marne depuis le sas de l’issue de secours débouchant sur le passage Saint-Pierre Amelot. Rapidement parvenus devant le bar situé à proximité de l’entrée de la salle de spectacle, ils identifient le troisième terroriste sur la scène, lequel met en joue un otage. Ils tirent à six reprises avec leurs armes de poing, à une distance d’une vingtaine de mètres que la commission a pu évaluer lors de son déplacement au Bataclan, et l’abattent à 21h57. Le terroriste parvient toutefois à actionner son gilet rempli d’explosifs. Dans les instants qui suivent, une succession de tirs venus du balcon intérieur oblige le commissaire divisionnaire et son chauffeur à s’abriter puis à sortir de la salle par l’entrée principale tandis que deux cents à trois cents personnes sortent par la sortie de secours du passage Saint-Pierre Amelot – laissant ainsi supposer que le terroriste qui y était embusqué a alors, lui aussi, rejoint l’étage. L’action exemplaire du commissaire divisionnaire et de son chauffeur met fin à la tuerie de masse.
À 22h00, la BSPP reçoit une demande de secours pour des personnes blessées par armes à feu, spectateurs parvenus à s’échapper de la salle, qui se trouvent 98, boulevard Beaumarchais. Les pompiers arrivent sur place à 22h04. […]
LA PRISE D’OTAGES AU BATACLAN APRÈS 22H00
Contrairement aux massacres perpétrés en l’espace de quelques minutes sur les terrasses des établissements parisiens, la prise d’otages qui succède à la tuerie au sein de la salle de spectacle dure plusieurs heures. C’est le seul endroit, le soir du 13 novembre, où les forces de sécurité intérieure interviennent alors que les terroristes sont toujours présents.
1. L’organisation des premiers secours
À 22h04, le commandant des opérations de secours (COS) demande l’appui de dix VSAV en prévision d’un bilan qui pourrait s’alourdir et afin d’anticiper la manœuvre d’évacuation des victimes. À la même heure, le RAID est mis en alerte tandis que l’adjoint au chef de l’unité, M. Éric Heip, se rend au ministère de l’Intérieur pour y attendre les premiers effectifs – les effectifs rapides.
À 22h05, la salle d’information et de commandement (SIC) de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de Paris apprend par la SIC de la DSPAP qu’une prise d’otages est en cours au Bataclan ; la première colonne de la BRI de Paris – la force d’intervention rapide (FIR) – reçoit alors pour consigne de se détourner de sa mission initiale et de rejoindre la salle de spectacle. Une seconde colonne, composée de quinze fonctionnaires, prend la direction de La Belle Équipe.
À 22h05 également, le préfet de police de Paris, M. Michel Cadot, arrive au Bataclan. Deux minutes plus tard, le chef du RAID déclenche l’alerte générale, c’est-à-dire le rappel de tous les effectifs. En outre, les antennes situées à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Rennes et Strasbourg sont mises en pré-alerte.
Le commissaire divisionnaire X a été rejoint à l’extérieur du bâtiment par plusieurs policiers appartenant à différentes unités de la DSPAP, dont la sienne, qu’il avait alertée avant de pénétrer pour la première fois dans la salle. Entendant de nouveaux tirs à l’intérieur, sans doute à l’étage, il entre pour la deuxième fois dans la salle, accompagné par les fonctionnaires arrivés en renfort. Là, les policiers sont la cible de quatre ou cinq tirs dont ils ne parviennent pas à déterminer la provenance. Le commissaire divisionnaire X, qui riposte par deux fois, et les autres policiers tentent alors de « sanctuariser le rez-de-chaussée en interdisant le retour des terroristes ». D’après lui, à compter de ce moment, il n’y aura plus de tirs à l’intérieur du Bataclan.
Rapidement et avant l’arrivée des forces d’intervention spécialisée, les policiers des BAC et de la compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) de Paris, également sur place, commencent à extraire des personnes de la salle
– blessées ou non. […]
Vers 22h10, des policiers de la DSPAP effectuent une reconnaissance pédestre dans le passage Saint-Pierre Amelot jusqu’à la porte arrière du Bataclan. Alertés par des passants, ils se rendent dans une résidence où se sont réfugiés, dans les parties communes et dans les étages, cinquante-deux spectateurs valides et vingt-six personnes blessées par balle. […]
Parce que les assaillants sont présents sur les lieux, les équipes de secours n’ont pas accès à la salle de spectacle, qui se situe alors à l’intérieur de la zone d’exclusion. Celle-ci recouvre le bâtiment du Bataclan, la majeure partie du passage Saint-Pierre Amelot et le boulevard Voltaire de la rue Oberkampf jusqu’au boulevard Richard Lenoir. Dans les premières minutes, les victimes sont donc regroupées par les policiers dans le hall du bâtiment, entre les portes extérieures et les portes intérieures, où se constitue un « nid de blessés » à l’écart de la zone de combat.
Elles sont ensuite évacuées, toujours par les policiers, à l’aide de barrières Vauban servant de brancards dans les premiers instants – des brancards seront ensuite fournis par les équipes de secours au fur et à mesure de leur montée en puissance – vers les postes médicaux avancés (PMA) que les sapeurs-pompiers et le SAMU installent dans le même temps rue Oberkampf. Cette noria d’évacuation ne va cesser jusqu’à l’assaut final donné par les forces d’intervention spécialisée. Elle s’est étoffée au fil des minutes, grâce à l’arrivée d’effectifs supplémentaires qui s’équipent progressivement de gilets pare-balles lourds et de boucliers de protection pour aller chercher les blessés dans la fosse ou dans les coursives.
[…]
2. L’arrivée des forces d’intervention spécialisée
À 22h20, les quinze fonctionnaires de la force d’intervention rapide (FIR) de la BRI de Paris arrivent au Bataclan.
La première colonne de la BRI entre dans le Bataclan dans les instants qui suivent son arrivée sur les lieux et progresse lentement au rez-de-chaussée.
À 22h26, le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) est mis en alerte. Onze minutes plus tôt, son commandant a tenté de joindre les chefs de la BRI de Paris et du RAID, sans y parvenir. D’après les informations recueillies par votre rapporteur, le second rappellera « plus tard » et indiquera être dépourvu d’informations sur la situation.
À 22h28, l’adjoint au chef du RAID arrive devant le Bataclan.
Puis, entre 22h30 et 22h35, la deuxième colonne de la BRI de Paris – qui a d’abord atteint La Belle Équipe – arrive devant la salle de spectacle, portant le nombre de fonctionnaires de la BRI à trente. Ce renfort permet d’accélérer l’évacuation des otages.
À partir de 22h30, le centre national d’information et de coordination (CNICO) de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) prend contact avec les centres d’information et de commandement (CIC) des directions départementales de la sécurité publique (DDSP) des quatre départements de la grande couronne – Seine-et-Marne, Yvelines, Val-de-Marne et Val-d’Oise – afin de solliciter la mise à disposition de la préfecture de police de Paris de tous les effectifs disponibles. Parallèlement, le CNICO reçoit et transmet au service de veille opérationnelle de la police nationale (SVOPN) les informations communiquées par des proches et des amis de personnes présentes au Bataclan.
Vers 22h40, la majorité des otages valides qui se trouvaient dans la fosse ont quitté la salle et sont pris en charge, à l’entrée du bâtiment, par les policiers qui les fouillent afin de s’assurer qu’ils ne sont pas « piégés » ou qu’un terroriste ne s’est pas dissimulé parmi le flot des personnes évacuées.
À 22h45, le GIGN reçoit l’ordre de se pré-positionner à la Caserne des Célestins, située 18, boulevard Henri IV, dans le 4e arrondissement de Paris, non loin de la place de la Bastille.
À 22h48, l’équipe rapide d’intervention (ERI) du RAID – qui compte neuf hommes – parvient au Bataclan. Cette équipe est accompagnée de médecins. Dotés de gilets et de casques de protection, les deux médecins de pénétration du RAID portent assistance aux blessés situés dans la fosse, sous couverture armée, et coordonnent le dispositif d’extraction des blessés, avec le concours des policiers déjà sur place. Ils réalisent sur les victimes des gestes de sauvetage immédiat et de damage control pré-hospitalier, en posant pansements compressifs et garrots tourniquets. Aucun geste de sauvetage ne devait cependant retarder l’extraction vers le « nid de blessés », la priorité étant de sortir les victimes de la zone de combat.
Dans le hall, les médecins du RAID et de la BRI de Paris ont pour rôle prioritaire de gérer le flux constant de blessés et d’organiser leur évacuation, par ordre de gravité, vers les PMA. La coordination avec les sapeurs-pompiers a été constante. […]
À 22h50, vingt-cinq militaires du GIGN, emmenés par leur commandant, quittent Satory. Dix minutes plus tard, vingt militaires supplémentaires font de même tandis que le commandant du GIGN appelle l’officier de liaison placé auprès du préfet de police de Paris pour offrir les services de son unité à la BRI de Paris et au RAID.
Vers 23h00, la BRI commence à progresser dans les escaliers, ce qui permet à certains spectateurs – encore dissimulés à ce moment-là – de quitter les lieux. […] Trente fonctionnaires supplémentaires de la BRI de Paris parviennent, à leur tour, devant la salle de spectacle.
À 23h09, M. Jean-Michel Fauvergue, chef du RAID, arrive au Bataclan avec une colonne d’assaut. […] Une fois sur place, il prend immédiatement contact avec le chef de la BRI de Paris : « Nous nous répartissons les missions de façon simple : je prends le bas, il prend le haut ». Un tireur de précision – ou sniper – du RAID accompagne la colonne de la BRI à l’étage.
À 23h12, des fonctionnaires du RAID se rendent rue Amelot pour y porter assistance à des personnes blessées. Plusieurs policiers de la DSPAP, à qui l’on annonce que les terroristes se trouvent à cet endroit, se rendent aussi sur les lieux. Ils y sécurisent plusieurs bâtiments où ils rencontrent des spectateurs cachés chez des particuliers ou dans des caves puis retournent devant la salle de spectacle.
À 23h15, les premières unités du GIGN arrivent à la Caserne des Célestins. Les suivantes y parviendront entre 23h24 et 23h43. Quarante-cinq militaires y sont alors présents et gardés en réserve pour intervenir en cas de nouvelle attaque dans la capitale.
À 23h15 également, la progression de la BRI, dans les étages, est stoppée devant une porte close, derrière laquelle se trouvent les deux membres du commando terroriste et une douzaine d’otages. Les premiers demandent d’abord, par le truchement d’un otage, le départ des policiers, requête à laquelle ceux-ci disent ne pouvoir donner suite. Puis, la colonne de la BRI obtient, par l’intermédiaire d’un ou plusieurs otages, un numéro de téléphone : « c’est le coup de téléphone du négociateur à ce numéro qui est le premier contact avec les terroristes, lesquels l’ont rappelé ensuite à plusieurs reprises », a précisé M. Christophe Molmy lors de son audition. Le premier des cinq échanges téléphoniques a lieu à 23h27, les suivants à 23h29, 23h48, 0h05 et 0h18.
Entre-temps, à 23h55, une troisième colonne d’assaut du RAID arrive au Bataclan.
À 23h30, le poste de commandement (PC) de crise de l’état-major de la police judiciaire (EMPJ) prend le relais de la SIC de la DRPJ de Paris et reçoit des appels de personnes cachées dans la salle qui reçoivent pour consigne de s’allonger au sol, de mettre leur téléphone portable en mode « silencieux » et de répondre aux appels. Tous les numéros de téléphone sont transmis au PC de la BRI installé sur place.
Parallèlement, les différentes unités de police continuent d’évacuer les blessés entre le Bataclan et les PMA, situés rue Oberkampf, sous la protection des militaires de l’opération Sentinelle. Au total, il semble que l’intégralité des victimes blessées du rez-de-chaussée ait été évacuée par les forces de police, de la salle de spectacle vers le hall, puis du hall vers les PMA, avant que l’assaut final ne soit donné. « On a vu de très belles réactions de la part des fonctionnaires de police » a notamment souligné M. Jean-Michel Fauvergue. […]
À 0h18, l’assaut est donné, sur autorisation du préfet de police de Paris, par les fonctionnaires de la BRI de Paris, soutenus par les effectifs du RAID, positionnés au rez-de-chaussée. Progressant, dans un couloir très étroit, sous le feu des Kalachnikov, la colonne enjambe les otages, bouclier tactique en tête, et les exfiltre les uns après les autres jusqu’à parvenir à neutraliser les deux terroristes et à libérer tous les otages, vivants. Au cours de l’assaut, l’un des kamikazes réussit à actionner son gilet explosif. Un policier de la BRI est grièvement blessé.
La BRI poursuit sa progression afin de sécuriser l’intégralité des lieux.
Une information selon laquelle un quatrième terroriste armé serait parvenu à s’échapper parvient au PC de crise de l’EMPJ. Elle s’avérera inexacte. […]
Une fois l’assaut terminé, les pompiers pénètrent dans le Bataclan […].
Les opérations de secours s’achèvent à 4h21, lorsque l’ensemble des personnes impliquées sont évacuées au moyen de transports collectifs.