J’ai lu le jugement rendu dans l’affaire « Simon Houle » … Je tique toujours sur certaines phrases, car les mots employés me semblent parfois vraiment « critiquables/inadéquats/inappropriés ». Toutefois, la décision est plus nuancée que le contenu des articles susmentionnés. La série/succession/concentration/quantité de phrases « isolées (des autres) » et en faveur de l’accusé laissait par exemple à penser que le juge Poliquin n’avait, pour ainsi dire, pas pris en considération les intérêts de la victime et que le jugement était conséquemment très déséquilibré. En réalité, bien que l’on puisse ne pas partager l’opinion du juge Poliquin et ne pas approuver sa décision, le contenu du jugement est tout de même plus pondéré/mesuré/équilibré qu’il n'y paraissait, à mes yeux. Un exemple : La phrase suivante m’avait fait grincer des dents : « il y a une victime et un seul évènement, lequel se déroule
somme toute rapidement ». (Il est vrai que le juge doit s’intéresser à tous les facteurs entourant la commission de l’infraction… Cependant, ainsi formulée, la phrase me semble problématique.) Néanmoins, à la lecture du jugement, l’on constate que ladite phrase est immédiatement balancée/pondérée par les propos suivants : « Bien qu’il soit difficile d’évaluer la durée réelle de l’évènement, les photos prises par l’accusé permettent d’établir que l’accusé
a tout de même eu le temps de prendre neuf photos des parties intimes de la victime dans deux endroits différents de l’appartement. D’ailleurs, ces photos permettent de saisir le caractère intrusif et grave des gestes posés par l’accusé. » Dans la même veine : « Outre la violence intrinsèque à toute agression sexuelle, il n’y a pas d’usage de violence ou de menace de violence par l’accusé.
Toutefois, force est d’admettre que cela n’était pas nécessaire pour que l’accusé arrive à ses fins. Qu’il suffise de rappeler que la victime est endormie et sous l’effet de l’alcool lorsque l’accusé en profite pour l’agresser et prendre des photos de ses parties intimes. Bien que la preuve ne révèle pas le niveau d’ébriété de la victime, il est sans conteste que celle-ci dort lors de l’agression, donc dans un état de grande vulnérabilité […]. » Etc.
« De cette analyse, le Tribunal conclut qu’aucun des facteurs aggravants retenus par le législateur à l’alinéa 718.2 (a) C. cr. n’est démontré. Par contre, il est reconnu que cette liste de facteurs n’est pas exhaustive et le Tribunal retient les éléments aggravants suivants : La gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique de la victime ; Les conséquences importantes des crimes sur la victime ; Les conséquences pour ses proches ; L’abus de la vulnérabilité de la victime découlant de son état d’inconscience.
Le Tribunal retient également les facteurs atténuants suivants : Le plaidoyer de culpabilité […]. L’accusé n’a qu’une seule condamnation antérieure en matière d’alcool au volant, donc aucune condamnation en matière de violence ; Le jeune âge de l’accusé lors de la commission de l’infraction, soit 27 ans ; Les remords, regrets et excuses sincères et véritables de l’accusé ; Le processus thérapeutique entrepris rapidement et avec sérieux ; La franchise et la transparence de l’accusé ; Le rapport présentenciel [= « rapport préparé par un agent de probation afin d'orienter le juge sur la peine qu'il doit imposer »] très positif ; Le faible risque de récidive ; Le fait qu’il a toujours été un actif pour la société ; La démonstration particulièrement convaincante de réhabilitation de l’accusé […]. »
« Le Tribunal constate que les décisions déposées par la poursuite qui condamne les accusés à une peine d’emprisonnement sont difficilement applicables aux faits de l’espèce. La lecture de ces décisions révèle la présence de plusieurs facteurs aggravants qui sont absents en l’espèce, par exemple : un abus de confiance, un contexte conjugal, des antécédents judiciaires, la présence de violence outre celle intrinsèque à une agression sexuelle, une préméditation ou une planification, un rapport présentenciel négatif ou un risque de récidive. À l’opposé, des facteurs atténuants d’importance sont également absents comme l’absence d’un plaidoyer de culpabilité ou de démarches thérapeutiques. Au surplus, aucun de ces jugements ne fait état d’une démonstration particulièrement convaincante de réhabilitation de l’accusé. »
« « Le jugement respecte la jurisprudence », a déploré Alexandra Dupuy, une des organisatrices du mouvement, tandis que se formait autour d’elle un cortège de protestataires. » https://www.ledevoir.com/societe/732165/la-colere-gronde-toujours-envers-l-absolution-de-simon-houleOui, c’est cela, en quelque sorte. D’une part, la loi (que le juge doit appliquer) permet/autorise, sous certaines conditions (si le tribunal considère « qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public », notamment), le prononcé d’une absolution (conditionnelle ou non) en matière d’agression sexuelle. (« [L’absolution] n’est pas une mesure exceptionnelle qui [ne] doit être accordée que dans des circonstances exceptionnelles. Elle n’est pas non plus réservée ou limitée aux infractions mineures ou techniques. Au contraire, l’article 730 C. cr. n’exclut aucun crime, sauf ceux qui sont passibles d’une peine minimale ou de 14 ans ou plus d’emprisonnement […]. Les tribunaux ne peuvent pas […] exclure des peines que le législateur lui-même n’a pas exclues. Les tribunaux ne peuvent créer des points de départ ou des minimums contraignants […]. » Par conséquent, seule une modification de la loi pourrait empêcher les juges de prononcer une telle peine en la matière.) D’autre part, la jurisprudence interprète généralement les critères en question (celui qui a trait à « l’intérêt véritable de l’accusé », entre autres) d’une certaine manière, et en l’espèce, le juge Poliquin s’est particulièrement penché sur les éléments qui sont (visiblement) habituellement pris en considération par les tribunaux. « Au-delà du type d’infraction, le Code criminel prévoit que l’absolution doit être dans « l’intérêt véritable de l’accusé » […]. Généralement, ce critère sera rempli si l’accusé est une personne de bon caractère, sans antécédent judiciaire, qui ne présente pas de problème en matière de dissuasion spécifique ni de réhabilitation et pour qui les répercussions d’une condamnation seraient particulièrement néfastes. Cela signifie, notamment, que le tribunal ne doit pas craindre que l’accusé récidive. Pour bien illustrer ce que signifie l’expression « intérêt véritable », voici des exemples de personnes chez qui un tel intérêt pourrait être reconnu par les tribunaux : Un jeune adulte ; un étudiant ; une personne qui perdrait son emploi en raison d’un antécédent judiciaire ; une personne qui doit voyager à l’étranger, par exemple aux États-Unis, que ce soit pour le travail ou encore pour visiter de la famille ; une personne qui fait partie d’un ordre professionnel ; une personne retraitée qui n’a jamais eu de problème avec la justice ; une personne avec un statut précaire au Canada, que ce soit celui de résident permanent ou un autre. »
https://www.verreaudufresneavocats.com/criminel-et-penal/absolution-eviter-casier-judiciaire/« Une personne « de bonne moralité ». Un événement « de courte durée et isolé ». Une « mauvaise décision prise sur le coup de l’émotion ». Un « actif pour la société ». Lorsqu’il a rendu sa décision sur la peine dans le dossier de l’ingénieur Simon Houle, le mois dernier, le juge Matthieu Poliquin avait déjà accordé une absolution conditionnelle à un jeune homme de 28 ans arrêté pour conduite dangereuse avec un taux d’alcool de 200 mg dans le sang en évoquant essentiellement les mêmes motifs. » https://www.lesoleil.com/2022/07/07/pas-la-premiere-absolution-accordee-par-le-juge-matthieu-poliquin-a-une-personne-de-bonne-moralite-b5f3fa434bf854719856b10eaf1e35fcCar les critères d’obtention d’une absolution restent les mêmes, notamment…
« Me Michel Lebrun, avocat à Trois-Rivières, déplore la violence des propos à l’égard du juge […]. « On l’accuse d’être un bourgeois qui a fait preuve de clémence envers un bourgeois. Or, dans le cas du juge Poliquin, cette affirmation est fausse. Sa carrière d’avocat au service des plus vulnérables de la société contredit cette prétention. C’est son choix de privilégier la réhabilitation plutôt que la punition qui motive sa décision », a-t-il indiqué. » https://www.lesoleil.com/2022/07/07/decision-controversee-du-juge-poliquin-laqaad-deplore-un-derapage-157c7aa19a20ed248c659afb77d51e8fIl est clair que le juge Poliquin a misé sur la sincérité et la réhabilitation de Simon Houle… « L’objectif de réinsertion sociale n’est pas non plus prioritaire aux autres, même s’il fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde. Par contre, en présence d’une démonstration particulièrement convaincante de réhabilitation, il pourra devenir prééminent. » Simon Houle n’avait pas d’antécédents judiciaires en la matière, etc., il est vrai… Mais, outre la question relative à l’intérêt public, certains faits (non judiciarisés, cependant) avaient été révélés par le principal intéressé… Et voilà qu’aujourd’hui, une autre femme accuse Simon Houle d’avoir fait preuve d’inconduite sexuelle après son absolution conditionnelle… « Bien que ce que Vickie Vachon allègue se soit produit à l’étranger, il pourrait être démontré que Simon Houle a brisé la condition de bonne conduite de son absolution, affirme [l’avocat-criminaliste Me Charles B. Côté] […]. Une porte-parole [du DPCP] souligne que « […] il existe en droit canadien des précédents reconnaissant la sanction d’un bris d’une ordonnance de probation à l’étranger. »
https://www.ledevoir.com/societe/732477/simon-houle-dans-l-eau-chaude-peu-apres-son-absolution-conditionnelle« « On m’a souhaité de subir moi-même un viol pour comprendre de quoi je parle », a raconté la présidente de l’Association des avocats de la défense, Me Marie-Pier Boulet »Je n’approuve pas cela non plus.
Chez nous aussi, nombre de décisions relatives à des viols ou à des agressions sexuelles sont critiquées, car jugées trop « clémentes », etc. Le viol simple, c’est-à-dire non aggravé, est par exemple puni de quinze ans de réclusion criminelle… Mais « 15 ans de réclusion criminelle », c’est le maximum légal (= la juridiction ne peut pas prononcer une peine d’une durée supérieure à celle qui est encourue). Autrement dit, la juridiction peut prononcer une peine d’une durée inférieure à celle qui est encourue : « Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle à temps, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à deux ans. Lorsqu'une infraction est punie de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à temps, la juridiction peut prononcer une peine de réclusion criminelle ou de détention criminelle pour une durée inférieure à celle qui est encourue, ou une peine d'emprisonnement qui ne peut être inférieure à un an. » –
article 132-18 du Code pénal. Preuve parfois difficile à apporter, le doute profite à l’accusé, primodélinquant/criminel vs récidiviste, balance des intérêts, individualisation des peines...