Je comprends ce que vous dites quand vous dites qu'il n'y a pas de mal à prévenir le risque et qu'il est normal qu'on souhaite mettre les femmes en garde contre le danger potentiel. C'est vrai, et pourtant, la façon dont les choses sont faites actuellement, le discours va beaucoup plus loin que la simple prévention et ce qui en résulte, c'est que les victimes sont implicitement blâmées pour leur agression. MadChuck a raison quand il dit que ce serait beaucoup moins choquant si les conseils de sécurité étaient formulés de manière neutre, sans être orientée vers un genre en particulier, mais ce n'est pas juste ça.
Pourquoi est-ce qu'on sait que c'est dangereux de se promener dans une forêt où il y a des ours? Pourquoi est-ce qu'on sait qu'on ne doit pas marcher sur une voie ferrée? Pourquoi est-ce qu'il ne nous viendrait pas à l'idée d'aller nager sous une épaisse couche de glace? Est-ce qu'on entend beaucoup de recommandations sur ces types de danger dans les médias? Est-ce que l'on martèle un message de prévention? Est-ce que l'on a vraiment besoin de le faire? Bien sûr qu'il y a un danger pour les femmes qui se promènent seules le soir, comme il y a un danger de traverser la nuit un quartier avec un taux de criminalité élevé si on ne fait partie de cette communauté. C'est un fait, et je doute que personne ne soit conscient de ce fait, ni les femmes qui marchent seules le soir, ni les blancs-becs qui traversent le Bronx la nuit.
Sauf que 91% des accusations d'agressions sexuelles déposées au Canada (je ne sors pas le chiffre de mon cul, j'avais sorti les statistiques auparavant dans cette discussion avec la référence qui venait, il me semble, du Bureau de la couronne de Vancouver) ne sont PAS des agressions sexuelles de niveau 1. C'est-à-dire que 91% des agressions sexuelles traitées par la justice n'impliquent pas d'armes ni d'actes de violence sévères. Ça veut dire que le type d'agression sexuelle qu'on essaie de prévenir avec les recommandations qui infantilisent et paternalisent les femmes, c'est le type d'agression sexuelle qui arrive le MOINS souvent et qui est le MOINS représenté dans les statistiques d'agressions sexuelles. La plupart des agressions sexuelles impliquent des gens qui se connaissent ou qui viennent de se rencontrer, et une bonne partie des incidents n'impliquent pas de violence physique (coups et blessures, voies de fait, séquestration ou autres). 9 fois sur 10, les victimes se font violer dans un lieu où elles se trouvent de leur propre gré.
En martelant incessamment que les femmes doivent "demeurer en contrôle", doivent éviter de marcher seules la nuit, doivent éviter les contacts avec des étrangers (etc.), ce qu'on laisse croire, c'est qu'une femme "raisonnable" n'est pas à risque d'être agressée sexuellement et qu'une femme qui a été agressée a nécessairement failli à assurer sa propre sécurité et a même provoqué l'agression en ne suivant pas les recommandations. Dans les faits, puisque la plupart des agressions sexuelles ont lieu dans un endroit connu de la victime et que la plupart des victimes connaissent leur agresseur, il n'y a pas grand chose qui puisse prévenir les agressions sexuelles, sauf de faire en sorte que les agresseurs ne les commettent pas.
La comparaison avec les meurtriers est boiteuse, et elle s'applique peut-être dans le 9% des cas où les femmes sont agressées violemment dans une ruelle sombre. La vérité, c'est que certains agresseurs ne savent même pas qu'ils sont en train de commettre une agression sexuelle. La vérité, c'est que beaucoup d'agresseurs ne croient pas qu'avoir des relations sexuelles avec quelqu'un de trop wasted pour donner son consentement, c'est une agression sexuelle. La vérité, c'est que la société dans laquelle on vit laisse croire aux agresseurs que le sexe est une monnaie d'échange et qu'il n'y a rien de mal à exiger le paiement de la dette le moment venu.
Peut-être qu'on pourrait arrêter de traiter les femmes comme des enfants et qu'on pourrait faire confiance en leur jugement quant il s'agit d'éviter les situations où elles sont en danger, et qu'on pourrait commencer à faire de la prévention pour éviter la majorité des agressions sexuelles en sensibilisant TOUT LE MONDE à l'importance du consentement et de la liberté de choix. En continuant de marteler des recommandations de sécurité qui vont de soi et qui n'adressent qu'une partie minimum du problème, les institutions se mettent la tête dans le sable en se disant qu'elles font des efforts de prévention, mais la vérité, c'est que ces efforts sont sexistes, mal dirigés et mal visés.