Gustavus: Le problème, c'est souvent la répétition du geste. Si ta boss s'était mise à te toucher de plus en plus, sans avertissement, et sans indication que ça te plaisait? Si la fille de ton cours de théâtre avait répété la chose dans chaque exercices? Imagine maintenant ton massothérapeute qui profite de te masser pour remonter vers tes couilles sans ton consentement? Ton médecin qui t'introduit des doigts dans l'anus sans avertissement? Pour moi il y a deux choses: la répétition d'un geste déplacé, ce qui constitue une agression, une importunation, et le fait que les professionnels de la santé devraient au minimum respecter le code d'éthique qu'ils ont déjà.
Bien sûr que je suis d'accord avec toi à-dessus.
Pour moi, c'est l'agression et l'abus qui font le problème, et non pas le caractère sexuel. Si le médecin introduisait son doigt dans ma bouche ou ma narine sans m'avertir, ce serait nettement agressant. C'est donc une agression (mineure, mais une vraie). Si un patron abusait de son autorité pour me puer de la gueule dans la face ou péter à côté de moi par exprès, je trouverais ça un abus, tout autant que s'il me montrait son pénis (et encore plus en ce qui me concerne).
Quelqu'un qui fait la même chose mais sans contexte de pouvoir, je trouve ça juste pas de classe, mais je ne suis en rien une victime de ce connard.
Le truc que je propose est de trouver un équivalent non-sexuel. Quelqu'un qui me frôle une fesse ou un genou dans un transport en commun, si ça m'arrive, perso je trouve ça équivalent. Surtout quand on sait même pas si c'est accidentel.
Même chose pour regarder de manière insistante, siffler dans la rue et ce genre de choses. Si l'équivalent non-sexuel n'est pas abusif ou agressif, je pense qu'on devrait rester dans le registre «classe / pas de classe» et lâcher les histoires d'agressions et de victimes.
Le problème avec le caractère sexuel des abus, selon moi, c'est pas que ça empire l'inconvénient vécu, mais c'est que c'est réparti de manière inégale entre les hommes et les femmes, et c'est d'ailleurs pourquoi je trouve que le féminisme est justifié d'occuper ce terrain. Mais il devrait le faire selon moi en utilisant l'approche de l'équivalent non-sexuel. Une manière aussi de se blinder contre les accusations de puritanisme et ce genre de choses.
L'autre truc, c'est d'arriver à la fois à conscientiser les gens (surtout les gossants et les agresseurs), sans dramatiser et victimiser inutilement. On peut à la fois décourager ET dédramatiser.
Écoute, personne ne souhaite perdre son enfant, mais même dans ces cas là, je souhaiterais que la personne qui vit ça s'en sorte le mieux possible avec philosophie et qu'elle ne passe pas le reste de sa vie à se morfondre et à souffrir. C'est fondamental, on encaisse la souffrance inévitable, la plus petite possible, celle qui arrive hors de notre volonté, et après on ne fait pas exprès pour en rajouter. Alors, c'est ce que je prône aussi pour les agressions sexuelles et les viols. En dédramatisant, peu importe combien l'épreuve est pénible, c'est sa souffrance à soi qu'on diminue. C'est ça que les vieilles féministes veulent dire. C'est aussi une forme de pouvoir sur sa vie et son destin. Se faire de la couenne. Dédramatiser peut aussi se faire tout en décourageant le geste répréhensible, par exemple, en dénonçant l'agresseur.
Encore une fois, on peut faire des équivalents non-sexuels. Se faire voler, personne n'aime ça, mais personne pense que si on se dit «ça aurait pu être pire», au lieu de pleurer sa vie là-dessus, on va banaliser et cesser de poursuivre les voleurs.
En effet mais en choisissant le terme « droit d'importunité » on tombe justement dans une sorte d'extrême.
Ça peut choquer, mais d'un point de vue sémantique, quel serait le contraire? «L'interdiction d'importuner»!
Ça ne peut être que l'un ou l'autre. C'est comme dire légal ou illégal. L'interdiction d'importuner, en réalité, c'est beaucoup plus extrémiste que le droit d'importuner. C'est là que moi je trace la barre «classe / pas de classe» et non pas «légal / illégal». Les gens ont le droit d'importuner, ce n'est pas cela qui est extrême, mais c'est plutôt l'option contraire, la criminalisation de l'offense ou sa tentative. Les gens peuvent être offusqués de manière complètement subjectives, on ne peut pas tracer vraiment de limite là-dessus, alors la loi s'occupe des choses concrètes, l'abus, l'agression, le discours haineux, etc.
C'est ben plate pour ceux qui ont l'épiderme sensible et qui s'offusquent plus que les autres, qui se sentent davantage importunées, mais la gauche post-moderne n'a pas rapport dans ce combat là. Elle erre complètement selon moi. La gauche a toujours choqué, été accusée d'offusquer, de léser, d'importuner les âmes prudes ou sensibles. La tentation de censure est malsaine selon moi.
Ça crée peut-être même une pression sur les femmes pour qu'elles se sentent davantage victimes (si l'on en croit l'opinions de certaines femmes qui s'expriment et qui dénoncent une «victimisation»). Par exemple, s'il y a deux femmes qui vivent le même événement, par exemple, se faire suivre en bécyc 4 ou 5 minutes par un cycliste qui leur watche le cul, une pourrait s'en foutre ou même s'en amuser, alors que l'autre se considérerait victime. Si elles se parlent et que la victime convainc l'autre, il y a processus de victimisation, ça me semble assez clair. Personne ne veut être une victime consentante, complice du crime. Bon je noircit le trait, mais on comprend ce que je veux dire.
Bref... l'interdiction d'importuner est beaucoup plus extrémiste quand on y pense ;- )